L'Enfer des armes
7.3
L'Enfer des armes

Film de Tsui Hark (1980)

J'ai eu bien fait d'attendre un peu avant de me faire un avis plus posé sur ce film qui était pour moi une réelle déception vu la réputation qu'il s'était construite. Faut dire que la qualité du master du director's cut n'était pas fameuse (d'ailleurs obligatoire sous peine d'avoir une version bien moins intéressante et subversive), ce qui n'aidait pas mon cas, mais en même temps elle constitue la meilleure édition possible, donc c'est un cap à passer. Bon, ce n'est pas non plus la claque annoncée, l'oeuvre passe par certains raccourcis regrettables qui m'ont parfois sorti un peu du film, mais c'est clair que Tsui Hark passe ici à la vitesse supérieure.


Ce réalisateur nous avait livré deux films qui avaient leurs qualités, mais qui s'avéraient sur certains points encore des oeuvres de jeunesse. Personnellement j'en retire surtout une certaine folie dans la manière de construire ses histoires, variablement bien mises en oeuvre et inspirés par une multitude de styles qui tranchaient avec le cinéma HK, à l'époque de facture encore très classique. Mais au-delà de ce sentiment de quelque chose d'assez expérimental dans la proposition, je n'en retenais rien de mémorable. Par contre avec L'enfer des armes, pour son premier essai en terrain contemporain, Tsui Hark frappe fort. Il s'agit tout simplement de son brûlot ultime sur la jeunesse en perte de repères et les quartiers de troisième zone basés à Hong-Kong, alors en pleine effervescence socio-économique (la rétrocession n'était pas loin), et Tsui Hark ne se contente pas de les filmer en mode documentaire, mais il en capte le désespoir et la frustration à travers une caméra qui tranche dans le vif, une musique atmosphérique plutôt étouffante, et des compositions de plan qui confinent parfois au symbolisme mais sans perdre en intensité (notamment celles avec le chat et la souris).


En ce qui concerne l'histoire, c'est dense. On est juste jetés dedans, sans savoir où on va débouler, à l'image de son quatuor de jeunes qui commencent par des actes de délinquance purement gratuits et relativement sans conséquences pour ensuite être emportés, au gré des situations, vers une funeste destinée qui fait bien mal à nos protagonistes. Mais on se ficherait presque de leur sort si derrière leurs actes dignes d'un fait divers, ce n'était pas aussi une histoire d'amitié qui se dessinait en arrière, mise en tension par la venue de ce petit bout de femme téméraire, porteuse de convictions visant à briser l'ordre malsain qui règne ici-bas et désireuse de s'en sortir malgré tout, emportant ainsi le reste du groupe vers des cimes bien plus dangereuses que ce à quoi ils étaient préparés. Petite parenthèse sur le casting juvénile et inconnu au bataillon constituant ce groupe de têtes brûlées qui sont étonnamment justes dans leur rôle et nous prennent constamment aux tripes. On suit aussi en parallèle un policier, frère de la meuf, dépassé lui aussi par les événements (bien qu'il y résiste par un comportement borderline et parfois drolatique) et ajoute donc un brin d'intensité et de complexité à une histoire déjà touffue à la base.


Alors oui encore une fois, certains défauts me sautent encore aux yeux, comme la bande-son reprenant à tue-tête des morceaux bien connus (Goblin et Jean-Michel Jarre en tête) dont l'utilisation n'est pas toujours optimisée, le meilleur exemple étant les séquences de poursuite qui perdent ainsi parfois un peu de leur sentiment d'urgence. Quant au script, il n'est pas toujours très solide dans ses enchaînements (à croire parfois que Hong-Kong est un petit quartier), mais ça ne gène jamais trop car du coup ça resserre ainsi l'intensité du propos qui ne change pratiquement pas de régime d'un bout à l'autre, où se règlent finalement les comptes d'une micro-société en ébullition au sein d'un décorum à saveur mortuaire. Bref, à voir tout simplement pour assister à la naissance de tout un genre cinématographique (du moins à HK), à mi-chemin entre critique virulente d'une société en expansion galopante tendant dangereusement vers une forme de nihilisme nécrosant (ça rappelle les premiers films de Kitano mais en vitesse x1000) et polar hard-boiled, le tout tournant autour de cette histoire d'amitié furieusement contrariée et qui confère une certaine âme à l'ensemble.

Arnaud_Mercadie
7
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le 12 avr. 2017

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Dun

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