Salut le Terrien!Kabylie,1959.Le lieutenant Terrien,jeune officier idéaliste,est affecté à une unité de commando chargée d'éliminer un groupe de combattants du FLN.Sa vision naïve de la guerre va être contredite par la réalité et le changer radicalement,lui faisant peu à peu perdre son humanité.Le film,réalisé par Florent-Emilio Siri,est l'adaptation d'un livre de Patrick Rotman,qui signe le scénario et les dialogues.C'est techniquement très bien fait,Siri ayant incontestablement le sens du plan.Sa mise en scène majestueuse sublime de magnifiques paysages montagneux et désertiques,qui sont d'ailleurs ceux du Maroc,car il est encore aujourd'hui compliqué pour des européens de tourner en Algérie,et ça l'est sans doute aussi pour des algériens.Le cinéaste alterne efficacement action et scènes intimistes,mettant ainsi judicieusement en perspective les actes des intervenants et leur nature profonde.Toutes les guerres sont sales,et la guerre d'Algérie,qui eut lieu de 54 à 62,le fut particulièrement en ce qu'elle déchira intimement la plupart de ceux qui y participèrent.Il ne s'agit pas là d'un simple conflit entre deux armées ennemies mais d'un combat opposant des soldats coincés dans des dilemmes moraux insolubles.Comme le dit d'emblée le sergent Dougnac,c'était écrit d'avance,l'indépendance du pays était inéluctable et ceux qui y ont laissé leur vie sont morts pour rien.Nous voyons ici des militaires français dont beaucoup comprennent parfaitement les motivations de leurs adversaires et sont conscients qu'ils agiraient de même à leur place,ce que certains ont d'ailleurs fait lors de la Deuxième Guerre Mondiale.Mais ils ont des ordres et l'opportunité ou non de ce conflit n'est pas de leur ressort.Les algériens,eux,sont très divisés.Nombre d'entre eux sont d'anciens combattants français,certains ont choisi de le rester,d'autres ont rallié le FLN.Quant aux populations des villages kabyles,elles sont coincées entre le marteau et l'enclume.D'un côté leurs compatriotes qui les contraignent à les aider,les menacent et les rançonnent,de l'autre l'armée française qui les surveille et les menace également.Tous ces protagonistes sont piégés dans cette situation infernale,qui va dégénérer de manière insensée.Siri,gauchiste bon teint,fait preuve d'une subtilité étonnante pour décrire clairement ce bordel.Certes,il stigmatise plus volontiers les exactions de l'armée française,mais il n'élude pas pour autant les atrocités commises par l'autre camp.Son film ressemble fort aux grandes oeuvres guerrières de Pierre Schoendoerffer et s'apparente à un mélange de "La 317e section" et de "L'honneur d'un capitaine",avec des réminiscences du "Crabe-Tambour".On retrouve à travers le personnage de Terrien ceux que jouait autrefois Jacques Perrin,ces jeunes officiers inexpérimentés et plein d'illusions qui se heurtent aux réalités du terrain et entretiennent des rapports tendus avec un vieux sous-off "bête de guerre" qui lui en connait un rayon en matière de tueries.Le duel Terrien-Dougnac rappelle donc fortement celui de Perrin et Bruno Cremer dans "La 317e section",bien que ce dernier ait eu pour cadre l'Indochine.Du reste,même le physique de blond évanescent de Benoît Magimel est proche de celui de Perrin.Le comportement des militaires n'est ici pas totalement condamné,les auteurs s'attachant à démontrer qu'ils ne sont que les instruments d'une politique.A bien y réfléchir,les politiciens avaient aussi leurs raisons,car tout le monde a les siennes,c'est bien ça le problème.L'Empire colonial français avait déjà quasiment disparu,rappelons que la guerre d'Indochine s'est achevée en 54 et que l'on a embrayé direct sur le conflit algérien,et l'Etat était peu désireux d'abandonner un nouveau territoire,qui était français depuis longtemps et présentait des avantages économiques,géostratégiques et géopolitiques,un pays où la France avait énormément investi en matière d'agriculture et d'infrastructures.Sans oublier les colons,les fameux pieds-noirs,qui étaient là depuis des générations,et les indigènes,plus nombreux qu'on ne le pense,qui étaient favorables à la présence française.On a par conséquent retardé l'échéance,au prix d'une guerre dégueulasse d'un côté comme de l'autre,pour aboutir finalement à un putain de gâchis.L'armée française,plus fournie en effectifs et mieux équipée,a guerroyé huit ans sans venir à bout d'une résistance obstinée et mieux adaptée au terrain.,ce qui se clora par une capitulation en rase campagne avec indépendance algérienne,départ des pieds-noirs dépouillés de leurs biens en mode "la valise ou le cercueil" et scandaleux abandon à leur sort des harkis dont beaucoup seront massacrés par leurs compatriotes."L'ennemi intime" s'attarde donc sur les horreurs de la guerre,dont sont victimes en premier lieu les populations civiles.On assiste aux écoeurants effets de la guerre psychologique que se livrent les deux camps,via des massacres de villages entiers où tout le monde y passe,femmes,enfants,vieillards,de pauvres gens vivant de manière misérable et qui sont rackettés par les "libérateurs" du FLN,qui n'hésitent pas à procéder à ce genre de "nettoyages" dans le but de faire des exemples,genre "regardez ce qui va vous arriver si vous n'êtes pas avec nous".L'armée française,en représailles,se livrera au même type de méthodes,au détriment de malheureux instrumentalisés par des forces qui les dépassent,même si on sait que globalement,ces paysans étaient plus favorables aux algériens qu'aux français,ce qui est logique.Il est aussi "question",c'est le mot adéquat,de torture,un sport très pratiqué dans les deux camps.Malheur à celui qui se fait choper par l'ennemi,qu'il soit gaulois,français musulman ou combattant arabe.Le FLN affectionne les égorgements et les mutilations,les français,plus évolués,préfèrent la gégène.On aura également une évocation de l'utilisation,peu connue, par l'armée française du napalm.Le film entend dénoncer ces dérives,notamment à travers les réactions outragées de Terrien,ce qui est surprenant car ces méthodes ne scandalisent que ceux qui s'imaginent que la guerre c'est cool,que c'est une sorte de jeu vidéo.En fait,la guerre c'est une horreur,et elle ne connait pas de règles,même si la célèbre Convention de Genève prétend en instituer.Mais les mecs qui sont sur le terrain ont d'autres préoccupations que ceux qui arbitrent les élégances planqués derrière un bureau à des milliers de kilomètres du théâtre des opérations.L'idée générale,c'est de buter le gars en face et de sauver sa peau si c'est possible.Alors,quand on est aux prises avec un ennemi la plupart du temps invisible et insaisissable,que les balles sifflent aux oreilles et qu'on voit les copains se faire étendre sous la mitraille,ou qu'on les retrouve sanguinolents avec les testicules dans la bouche,on ne s'offusque pas trop que la zone et tout ce qui y vit soit nettoyée au napalm,pas plus qu'on ne s'indigne de la torture si elle permet de collecter des renseignements qui peuvent sauver votre peau. Et puis,comment croire qu'il existe de bonnes ou de mauvaises façons de faire la guerre?La torture,le napalm,les "armes chimiques",ce serait mal,par contre se faire étriper au couteau,éventrer à la baïonnette,se prendre une balle dans la tronche,ou encore mieux dans la colonne vertébrale pour agoniser des heures en souffrant le martyre,ce serait vachement sympa?Quelle connerie!Et la bombe atomique,que toutes les démocraties éclairées détiennent,c'est quoi?Cool,un peu tolérable,pas acceptable?On voudrait bien savoir.D'ailleurs,les militaires présentés ici ne sont pas des sadiques sanguinaires,et Siri en fait un portrait équilibré.Il y a là de jeunes appelés terrifiés qui se demandent ce qu'ils sont venus foutre dans ce bourbier,et de vieux militaires de carrière qui en ont vu d'autres.Car les auteurs,volontairement ou non,rendent comme le faisait Schoendoerffer,un vibrant hommage à cette génération perdue de soldats qui ont essuyé tous les conflits,de 39-45 à l'Algérie en passant par l'Indo.Ces mecs,souvent issus de la Résistance,étaient de vrais hommes,de vrais aventuriers,de vrais baroudeurs,pas des branleurs à la Koh-Lanta en quête de frissons à pas cher.Ils ont traîné leurs guêtres partout où ça castagnait,avec à l'esprit le sens du devoir et l'amour de la patrie.C'est le cas du sergent Dougnac,du capitaine Berthaut ou du supplétif algérien Saïd,héros de la bataille de Monte Cassino.Ces soldats ont juste été poussés malgré eux à effectuer un sale boulot dans une sale guerre.Ce qui n'est pas sans conséquences d'ailleurs,et c'est là qu'on comprend le sens du titre.L'ennemi intime,c'est bien sûr soi-même,cette part sombre qu'on refoule,cette violence qui peut jaillir si les circonstances s'y prêtent.Psychologiquement,un étrange transfert va s'opérer entre Terrien et Dougnac.Ces deux hommes si différents vont être les objets d'une fascination mutuelle et d'une sorte d'amitié inattendue.Le jeune lieutenant bisounours va s'endurcir et devenir un guerrier impitoyable,laissant de côté ses états d'âme initiaux,tandis que le serpatte blasé va se laisser gagner par les scrupules de son supérieur,au point de changer profondément.De beaux moments d'émotion surgissent de temps à autre,comme cette projection,la nuit de Noël, d'un super 8 filmé à Paris par un des soldats mort depuis,ou l'exécution problématique d'un prisonnier interprété par Fellag,Fellag le fellagha,qui se révèle être un ancien compagnon d'armes.Soulignons le travail du directeur de casting Stéphane Foenkinos,lui aussi réalisateur et frère de l'écrivain David Foenkinos,qui a réuni une distribution d'une classe incroyable.Benoît Magimel est idéal en jeune gandin confronté à une réalité qui va submerger sa personnalité.A aucun moment on ne doute qu'Albert Dupontel soit un vétéran revenu de toutes les batailles,tant il est juste dans ce registre,qu'il avait déjà expérimenté dans des rôles secondaires dans "Un héros très discret" ou "Un long dimanche de fiançailles".Marc Barbé est bluffant dans le rôle de Berthaut,et Aurélien Recoing impeccable en commandant qui ne se pose pas de questions.Eric Savin,fantastique second couteau méconnu,et Abdelhafid Metalsi,qui vaut beaucoup mieux que ce qu'il donne dans la funeste série "Cherif",affichent une présence fabuleuse.Belles performances aussi de Lounès Tazaïrt et Guillaume Gouix.

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le 26 févr. 2019

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