Par avance, mes excuses.
Mes excuses pour être resté inerte face à ce film.
Et surtout mes excuses parce que je ne vais pas me priver d’expliquer pourquoi.


Je préfère présenter mes excuses par avance parce que, d’expérience, quand je m’exprime aussi froidement sur des films comme ça, ça en heurte toujours certains.
Donc désolé. Ce n’est pas le but.
Je me doute qu’au regard du sujet abordé, cet Évènement d’Audrey Diwan a su activer des ressorts émotionnels chez certaines et chez certains, et face à ça moi j’aurais envie de dire « tant mieux pour eux ».
Après tout on vient au cinéma pour se confronter à des œuvres qui nous bougent un peu, voire beaucoup, donc s’il y en a qui ont été remués par ce film, c’est super. Je ne remets absolument pas ça en cause…
…Et si vous, en tant que lecteur curieux, vous vous interrogez sur le fait de savoir si ce film peut vous séduire, alors dites vous que si vous vous reconnaissez pleinement dans les approches de celles et ceux qui encensent ce film, alors c’est que dans ce cas il ne faut plus hésiter. J’irais même plus loin en vous disant : « tentez votre chance. Écoutez votre cœur et allez-y ».


Seulement voilà, en cinéma, il n’y a pas d’approche universelle. Et il serait bon de le garder à l’esprit aussi.
On ne va pas tous dans les salles obscures pour les mêmes raisons. On n’y est pas tous sensibles de la même manière.
Moi, par exemple, je vais au cinéma avant tout pour voir du cinéma. Et quand je dis cela, je ne pense pas la chose selon une approche élitiste ou désincarnée. Non, c’est même tout le contraire.
Pour moi le cinéma c’est cet art qui consiste à savoir faire en sorte qu’à un moment donné, quelque-chose va au-delà de la simple énonciation du sujet.
Car au fond, un sujet, en lui-même, n’a que la portée émotionnelle qu’on veut bien lui donner…
…Et cet Evénement est venu une nouvelle fois me le démontrer.


Je tiens d’ailleurs à préciser ceci avant d’aller plus loin: quand je me suis assis face à l’écran qui allait projeter ce film, j’ignorais tout du sujet qui allait être traité.
C’est ainsi que j’aime me confronter à l’art. J’aime l’aborder de manière brute, sans présupposé ni d’attente prédéfinie. Je veux ressentir l’œuvre pour ce qu’elle est et non pour ce que j’en espère.
Or que m’ont offert les premières minutes de cet Événement ?
Quelques plans sur des corps féminins qu’on érotise à la Kechiche. Une épure de l’approche des êtres à la Sciamma. Un cadre carré à la Dolan.
Le naturalisme cinématographique est un brin appuyé. Le verbe sonne un peu faux. Les quelques fantasmes habituels en termes de cadre de vie et de référents culturels sont à nouveau mobilisés selon les canons du genre…


Le film a à peine commencé depuis seulement cinq minutes que déjà je n’y crois pas ; que déjà j’ai affaire à un non-événement cinématographique.
Ce film je l’ai déjà vu cent fois. Je connais son ton par-cœur. Je ne trouve rien qui me permette de voir en ce cinéma-là autre chose qu’une simple décalcomanie des artifices habituels du genre.
Des artifices que je trouve insuffisants.
Des artifices qui m’empêchent de voir des personnages plutôt que des actrices.
Des artifices qui me donnent davantage l’impression de relire un scénario plutôt que de suivre une histoire incarnée.


Cinq minutes et je savais déjà que j’avais face à moi un film qui n’entendrait se reposer paresseusement que sur son sujet. Ne restait plus qu’à attendre que le sujet tombe, comme un enseignant qui attend que l’étudiante choisisse parmi les petits bouts de papier qu’elle a face à elle.
Soudain l’héroïne retire sa culotte dans un geste sciammesque et regarde à l’intérieur. Le tissu est immaculé. Le sujet vient d’être tiré.
Il sera donc question de grossesse précoce.
Pire, quand on comprend cinq minutes plus tard qu’à l’époque de l’intrigue l’interruption volontaire de grossesse est interdite, le dessin se noircit davantage.
Il sera question d’avortement.


Et si je dis « pire » c’est parce que tant que le sujet se réduisait à la grossesse, les possibilités de traitement restaient ouvertes dans mon esprit. Mais sitôt j’ai entendu le médecin de l’héroïne évoquer l’interdiction d’avorter que j’ai vu un Mur de Berlin se dresser en un instant au milieu de la salle.
Deux rangées de béton et au milieu un no man’s land stérile. Il n’y avait désormais plus qu’une seule direction possible pour cette intrigue.
Après seulement dix minutes j’avais déjà tout le film en tête. J’avais déjà toute la démonstration scolaire qui allait se dérouler sous mes yeux.
J’avais les moments. J’avais les scènes. Et surtout j’avais ce ton. Ce ton plat. Ce ton monocorde. Ce ton faux… « Car vois-tu le sujet fait le film » semblait déjà me répéter Audrey Diwan à travers sa bobine, tel le seul mantra qu’étaient capables de réciter les réalisateurs de cette école de cinéma-là.


Alors soit, c’était triste l’époque où les femmes ne pouvaient pas avorter, on est tous d’accord là-dessus. Et ne croyez pas que c’est là un sujet qui ne me touche pas. Seulement voilà, pour ma part, je n’ai pas attendu Audrey Diwan pour m’en émouvoir…
…Et – toujours pour ma part – ce ne sont pas les dissertations scolaires qui sont les plus à même de me replonger dans l’émotion.


Car oui, l’événement a quand même ceci d’agaçant de vouloir sans cesse nous faire la leçon. Tout le temps.
Chaque élément se pose-là comme un nouveau tiret rajouté sur le développement d’une copie. Et moi ça me sort du film.
Où est le geste de l’artiste qui est capable de se faire oublier derrière son sujet ?
Où est cette force que le cinéma est capable de générer au point de pouvoir s’emparer de n’importe quel sujet et d’en faire une histoire singulière et incarnée ?
Je ne viens pas au cinéma pour écouter la messe.
Je ne viens pas au cinéma pour me recueillir sur les tombes des anciens combattants.
Je viens au cinéma pour avoir du cinéma…
…Ce que je n’ai pas eu.


Alors oui, mes excuses encore, mais je suis resté de marbre face à ce film.
Je me suis ennuyé. Je n’ai pas vu l’intérêt. J’ai fait ma liste de course pendant la séance.
Et encore une fois, si certaines ou certains ont eu les larmes aux yeux face à ce métrage là, tant mieux. Moi c’est juste qu’entre des récits bien réels traitant de l’avortement et un film d’écolière, mon cœur a fait son choix depuis longtemps.
Alors pardon.
Et si par hasard, il y a parmi les lecteurs curieux, des gens qui ne reconnaissent dans ce rapport que j’ai au cinéma, alors à ceux-là, vous savez ce que j’aurais à vous dire : « si vous voulez vous faire un petit ciné ce week-end alors ne perdez pas votre temps, et sachez que pour ma part ce film de Diwan est un non-évènement… »

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le 27 nov. 2021

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