C'est toujours intéressant de voir l'évolution des représentations sociales dans le temps, c'est bien souvent révélateur de l'état d'esprit d'un pays. On a eu bien sûr une période où le cinéma vantait le modèle de vie ricain d'une manière bien trop idyllique pour être crédible, puis la critique s'est faite sentir et c'est là où le jeu a commencé a devenir passionnant. The Man in the Gray Flannel Suit s'inscrit ainsi dans cette mouvance culturelle qui va mettre à mal l'image idyllique de l'american way of life. Adapté d'un livre à succès de Sloan Wilson, le film préfigure admirablement ce que seront les excellents Strangers When We Meet (Richard Quine, 1960), The Arrangement (Kazan, 1969) voire même la récente série Mad Men (Matthew Weiner, 2007). Il est donc inutile de préciser que ce film est d'une vraie richesse scénaristique, étudiant et interpellant le rapport de l'américain moyen entre son modèle de vie et celui influencé par la société. En fait, The Man in the Gray Flannel serait une brillante réussite s'il n'était pas autant desservi par une réalisation mollassonne qui peine à exploiter tout le potentiel de l'histoire.


Loin du glorieux héros, diablement sexy et à l'existence trépidante, le personnage central, Tom Rath, nous apparaît désespérément humain, n'aspirant qu'à mener une existence paisible au milieu de sa petite famille. Le bonheur pour l'homme, se résumerait il simplement a être un bon père et un mari aimant ? Seulement, il n'est pas aisé de concilier ses aspirations personnelles avec les exigences de la société. Son épouse lui reproche sa passivité et aimerait qu'il trouve un job mieux rémunéré. La société de son côté, ne fait que lui envoyer des signaux allant dans le même sens, il faut consommer, dépenser son argent pour le dernière appareil domestique à la mode ou pour s'offrir une belle résidence secondaire. La réussite doit se voir, elle s'affiche outrageusement, la voilà la vraie recette du bonheur !


Ainsi, autour de notre bonhomme, va venir se greffer une vraie réflexion sur le sens donné à sa vie et sur le rapport avec le monde du travail. Par le biais de flash-back, on découvre le passé de Tom, son expérience en tant que soldat durant la Seconde Guerre mondiale et on devine le traumatisme qui a été le sien après avoir côtoyé la mort pendant si longtemps. Ainsi, on découvre un homme dans toute sa complexité, un ancien combattant qui connaît le prix du bonheur simple de la vie de famille, mais également un être sensible qui essaye de satisfaire au mieux sa femme et ses enfants. Il s'enferme alors progressivement dans un cercle vicieux où un meilleur job va permettre de subvenir aux besoins de sa famille mais en même temps va le tenir éloigné d'elle et va contribuer à détériorer les relations familiale.


Le film est ainsi brillant dans sa manière de nous exposer les effets pervers de la course à la réussite, notamment en faisant le parallèle entre le destin de Tom et celui de son patron interprété par Fredric March. Ce dernier nous apparaît comme le futur de Tom, et la comparaison est d'autant plus glaçante. Mais le film aborde aussi subtilement l'influence du capitalisme sur la population, en nous montrant comment une famille moyenne va peu à peu perdre son humanité, sa chaleur et sa joie de vivre simplement. Les teintes grisâtres parlent excellemment en ce sens, tout comme l'influence néfaste des symboles de la consommation sur la vie de famille. L'exemple le plus parlant étant l'arrivée de cette télévision au sein du foyer, symbole du luxe et de la modernité mais également objet de fascination qui va venir monopoliser l'attention des enfants au détriment des relations familiales.


Tout cela serait pas mal si Nunnally Johnson parvenait à exploiter au mieux son sujet. Seulement si notre homme est un brillant scénariste (avec notamment The Dirty Dozen et The Grapes of Wrath), il n'excelle pas autant à la réalisation. Sa mise en scène est molle, académique et il a bien du mal a aller à l'essentielle (les flash-back sont intéressants mais bien trop important, certaines intrigues secondaires sont inutiles, certaines scènes sont inutilement étirées). Résultat, on se retrouve avec un film de 2h 30 qui pourrait très tenir en moins de 2h. Heureusement le film reste intéressant à découvrir de par son sujet, mais également grâce à la qualité de l'interprétation : Peck rend très bien compte de la complexité de son personnage, Jennifer Jones a le mérite de la sobriété, et les seconds couteaux, Fredric March et Lee J. Cobb, sont particulièrement excellents. Faute d'être un grand film,The Man in the Gray Flannel Suit s'avère être une belle curiosité, notamment pour les inconditionnels de la série Mad Men.



Procol-Harum
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le 1 sept. 2022

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