Dans les années 1950, la SF connaît un âge d'or dans le cinéma américain. C'est l'heure de la Guerre Froide et le genre est fréquemment politisé, certaines productions faisant l'apologie du militarisme. Jack Arnold est alors l'un des principaux artisans de la SF mais se tient à l'écart de ces questions, essayant plutôt d'insuffler une dimension romantique ou même humaniste à ses productions, au travers de monstres mal-aimés ou de fabrications prométhéennes mal gérées. Ses principales réussites sont L'étrange créature du lac noir (1954) et Tarantula (1956), puis surtout L'Homme qui rétrécit (1957).


Grâce au concours de Richard Matheson au scénario (basé sur son roman The Shrinking Man) et surtout à ses effets spéciaux, cet opus d'Arnold est considéré comme un classique du fantastique, atteignant une dimension institutionnelle (entrée à la Bibliothèque du Congrès). Par ses manières, le film semble anticiper La Quatrième dimension, série lancée deux ans plus tard. Il résonne avec les peurs, omniprésentes à l'époque, liées aux progrès des technologies, aux nouveaux armements et produits de l'industrie (la transformation est provoquée par un brouillard radioactif). À cet écho sociétal et à l'étrangeté immédiate de ces distorsions s'ajoute une dimension tirant vers le conte pour adultes. En effet, le personnage voué à rétrécir ne l'est pas simplement en vertu des fantaisies 'bis' attendues : Matheson apporte un contenu métaphysique fort.


L'homme qui rétrécit est sapé dans sa virilité. Carey est un type sans éclat, socialement aligné et surtout dominé, sans véritable emprise sur son existence, dont les tenants et aboutissants semblent appartenir aux autres (famille ou employeur). Rabaissé jusqu'au-bout, il était le candidat idéal pour cette course vers l'infiniment petit. Dès le début, ses manquements conjuguaux sont soulignés, puis bientôt sa femme se trouve à son chevet ; jusqu'à ce qu'elle ait toute légitimité pour se détourner de ce fardeau. Carey n'est pas seulement une victime, c'est aussi un atome lésé, balloté par plus forts ou plus malins que lui, finalement exclu du jeu parce qu'un liliputien ordinaire a vite rendu toute sa sève. Sa combativité en dépit des événements, finalement toute cette vitalité voir cette fougue contrariées, le rendent sympathiques et facilitent la projection du spectateur. Dans la seconde moitié du métrage (la première est plus touffue et bavarde), le spectateur partage la perception de Carey, allant d'épreuves en épreuves dans la cave, détaché de l'ancien monde.


Le scénario ne prendra pas de détours, son contenu est aussi dense que ramassé. La narration est fluide, les agréments subtils ; là où Black Lagoon assénait des jargons maniérés en ne faisant que tirer vers la niaiserie, Incredible Shrinking Man exprime des idées et un schéma puissants par la seule force des images (la voix-off ayant un intérêt très 'décoratif'). D'un point de vue strictement plastique, c'est une grande réussite : la photo est cristalline comme d'habitude chez Arnold, les décors riches (mêlant objets géants et normaux agrandis en surimpression) le génie des effets spéciaux fait du film une date dans l'histoire de leur développement (les transformations humaines dans Tarantula étaient déjà remarquables). À un niveau plus ludique, la séance est potentiellement passionnante lorsque Carey doit se mouvoir dans un 'nouveau' monde hostile (le temps le plus fameux étant la confrontation avec le chat, le plus intense celui avec l'araignée). Le déclin continu de Carey est cependant l'élément le plus terrifiant (mais aussi alléchant), car en dépit de ses gesticulations son seul avenir est l'évanouissement total – par rapport aux vivants. Il doit affronter pire que sa condition de mortel : celle de poussière, plongée seule dans l'inconnu et l'obscurité.


https://zogarok.wordpress.com/2015/09/02/lhomme-qui-retrecit/

Zogarok

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