Une heure du matin. La fatigue et la tristesse reprennent logiquement leur droit dans mon corps et mon esprit. Las, je parcours ma liste de films à voir, inexorablement plus grande jour après jour. Puis L'Île Nue. Ça fait un paquet de mois que je le traîne sans jamais avoir daigné l'ouvrir. Bon. Au pire, si je m'endors, ce n'est pas bien grave me dis-je. Quel sot.

Un homme et une femme gravissent une île aux côtes particulièrement pentues. Tout deux portent chacun d'énormes seaux remplis d'eau. Des seaux qu'ils sont allés chercher à des kilomètres de là, sur la côte. Il faut dire qu'ils n'ont pas d'eau potable ici, alors chaque goutte est d'une importance cruciale. Le soleil apparaît timidement à l'horizon lorsqu'ils arrivent au sommet de l'île, mais cela ne trouble pas la suite de leur rituel. Il se mettent alors à déverser soigneusement à la louche des quantités limités d'or bleu entre chacun des plants. Puis quand les seaux sont vides, tout recommence.

Aidée par une photographie absolument sublime et une mise en scène touchant au divin, la contemplation prend immédiatement sa place. Cela faisait maintenant une éternité que je n'avais pas trouvé un film qui croisent aussi bien lenteur, simplicité et beauté. Chacun des plans est aussi précieux que l'eau qui va tourmenter la famille. Une économie qu'on retrouve aussi dans le scénario : il n'y a aucun dialogue. Et alors ? Peu à peu, le long-métrage emmène son spectateur dans une stase folle. La répétition et la beauté lui font perdre toute notion du temps.

Jusqu'à ce que !

La femme fait tomber un seau d'eau, à bout de souffle à force de travail. Lui s'éponge le front, gifle sa femme qui tombe par terre et s'y remet. Pris dans ma douce rêverie, je me réveille. Cette baffe, c'est moi qui me la suis pris, avec une force inédite. L'échec n'a pas lieu d'être dans ce terrible labeur.

Le film prend ensuite une direction plus humaniste. Les saisons s'écoulent et on s'attache à la vie des enfants. Pendant que l'un chasse le poulpe dans la mer à l'eau claire, mais salée, l'autre va à l'école. Et doit tous les jours attendre sa mère qui vient le chercher en barque. Puis, les évènements s'enchaînent avec autant de sensationnel et de beauté que dans la vie de tous les jours. Chaque minute est une aventure soulignée par un superbe score. Même le mélo sur la fin ne saurait être critiqué tant il est mis en scène avec pudeur et donne lieu à des scènes incroyables, comme lorsque la femme contemple ce feu d'artifice, exécuté sur la côte. Et quand le film s'arrête, le rituel continue, inlassable, terrible machine à la beauté désenchantée mais pourtant divine. À trois heures du matin mes sens sont tous en alerte. Je suis bouleversé.
khms
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le 14 janv. 2014

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