Ce film a été tourné pendant la période américaine de Jean Gabin et Julien Duvivier.
Le scénario raconte l'itinéraire d'un repris de justice sauvé miraculeusement de la guillotine par un bombardement de la prison en 1940. Evadé, il rejoint les colonnes de réfugiés qui descendent dans le sud et récupère /s'approprie l'identité d'un soldat (en fait un sergent) trouvé mort au bord de la route.
Il s'engage des les forces françaises libres en AEF où il se conduit en héros et devient officier jusqu'au jour où il est démasqué comme imposteur.
J'ai pris la peine de raconter un peu le film car deux lectures sont possibles. Ces deux lectures conduisent à des appréciations complètement différentes.
La première lecture c'est de considérer que le film est un bête produit de propagande pour magnifier l'action militaire des forces françaises gaullistes pendant la guerre. Et c'est vrai qu'il y a cela. L'arrivée du groupe de soldats dans un coin complètement paumé d'Afrique où il bâtissent un poste puis un terrain d'aviation jusqu'à ce que les valeureux pioupious fassent des miracles au Tchad ou en Lybie. On voit ces braves soldats écouter au garde à vue et larme à l'oeil la marseillaise et d'autres chants militaires. On les voit se dépenser sans compter dans une fraternelle amitié, etc etc ; sans oublier les petites séquences d'émotion avec le brave paysan normand pas très fûté qui étale ses photos de famille ou qui pleure quand ses copains (potes, coéquipiers, compagnons) lui organisent pour Noel une crèche avec un feu de bois ... On est alors dans le registre "l'armée est une grande famille", "les braves soldats de toute origine se sont levés pour partir en Afrique combattre et sauver la France" , etc
La deuxième lecture est bien plus intéressante et ne s'intéresse qu'au personnage joué par Jean Gabin. Là, curieusement, son itinéraire interpelle. D'enfant de l'assistance devenu voyou et n'ayant connu de son enfance que les maisons de correction et les coups de gueule jusqu'à la prison pour assassinat d'un policier, l'appropriation des papiers d'un mort (pris au hasard) lui permet peu à peu de se construire une personnalité. Au début, ce n'est qu'un moyen de se planquer et d'échapper aux éventuelles poursuites. Mais sous l'influence du paysan normand (celui qui n'est pas fûté...) seul et paumé dans la débâcle, il se construit "d'évidence" et finit par suivre le mouvement et à s'engager (par pur opportunisme à cause de la prime et de la bouffe assurée) ; peu à peu, il se prend au jeu et découvre le plaisir de donner un coup de main, d'aider un camarade, il découvre le plaisir d'avoir un copain, d'éprouver de l'empathie. Une belle scène est celle où le paysan normand (celui pas fûté mais avec du cœur) chagriné que Gabin soit le seul à ne pas avoir de souvenir qui le rattache à une vie antérieure, découpe la photo de sa sœur pour la lui donner...
En bref, de petite gouape asociale , il se construit peu à peu en un être humain normal et civilisé.
Le passé le rattrapera. "L'imposteur" sera dénoncé puis condamné (à être dégradé et à retourner en première ligne - faut pas gaspiller la chair à canon)
L'institution militaire le condamnera ; dès lors, je ne vois plus beaucoup de propagande militariste ou patriotique ! Bien au contraire ...
J'irai même jusqu'à dire que la société ne sera pas capable de passer l'éponge et de racheter quelqu'un qui tente d'oublier son passé crapuleux.
Par ailleurs, il est vrai que la réalisation du film par Duvivier ne comptera parmi ses meilleures. Le film a été complètement tourné en anglais où je constate que Gabin a plutôt un joli accent ...
Peu d'efforts ont été consentis pour crédibiliser l'action en Afrique. Il s'agissait de montrer au public américain l'existence des forces françaises libres. On se fichait probablement des détails.
La VF est curieuse car Gabin, absent pour la post synchronisation, c'est Robert Dalban qui s'y est collé ... Ce n'est pas extrêmement choquant car les deux acteurs ont un peu le même timbre de voix. De même, les fameux discours de Petain et de de Gaulle sont en anglais alors que ça n'aurait pas coûté grand chose de mettre les originaux qu'on trouve dans tous les films de l'époque ...
Au final, ce n'est sûrement pas un grand film de Duvivier qui présente une mise en scène un peu brut de décoffrage. Je pense cependant qu'il serait dommage de s'arrêter à l'objectif purement conjoncturel de propagande car le sujet évoqué de l'impossibilité du rachat d'un homme que le passé finit par rattraper me semble prépondérant et fort intéressant. Plus exactement, l'institution ou la société avec ses règles ne peut pas racheter alors que l'individu le pourrait.