Inhumaine, par amour de l'humanité

Ce qui va suivre n'est pas le compte-rendu d'un film mais celui d'une « histoire féérique vue par Marcel L’Herbier »comme l'indique l'affiche. La nuance est importante.

Pour qu'il y ait film il faut d'abord un bon scénario, comme disait Gabin. Le propos de L'Herbier est de faire de l'Inhumaine un miroir du mouvement art déco des années 20, sous le prétexte d'une histoire fantastique. Le décor en toile de fond devient ainsi l'objet de toutes les attentions et l'histoire ne sert que de fil d'Ariane entre les décors.

On a donc fait appel aux grands noms du mouvement art déco. L'architecte Robert Mallet-Stevens a construit les volumes extérieurs, l'architecte et futur réalisateur Alberto Cavalcanti la plupart des décors intérieurs et c'est le peintre Fernand Léger qui a signé l'intérieur du laboratoire du savant, ce qui donne l'impression d'être au cœur d'un de ses tableaux «tubistes». Claude Autant-Lara a dessiné des plantes en bois en guise de jardin d'hiver. Pour le mobilier on a les noms du créateur de tapisserie Jean Lurçat, de l'architecte d'intérieur Pierre Chareau et de Michel Dufet. L'orfèvrerie est de Jean Puiforcat, les verreries sont de Jean Luce et de Delvaux, les sculptures de Joseph Csaky, les costumes de Georgette Leblanc sont non pas de Donald Cardwell mais du couturier Paul Poiret, les ballets suédois de Rolf de Maré, la photo de Georges Specht, la voiture est une Bugatti, l'écrivain Philippe Hériat joue le rôle du maharadjah, la musique perdue était de Darius Milhaud. Il y a même Kiki de Montpanasse au générique. Ce name-dropping n'est pas fait pour impressionner par ma culture mais pour insister autant que Marcel L'Herbier pour souligner que l'Inhumaine est un manifeste du style ART DECO. Celui ou celle qui a dit art nouveau devra regarder ce film deux fois en guise de punition.

Côté recherche cinématographique, Lobster films a restauré en 2015 le procédé initial de teinture de la pellicule en couleurs qui fait alterner de manière purement décorative des séquences rouges, vertes ou bleues. Par ailleurs, autre progrès considérable, YouTube permet maintenant d'augmenter la vitesse de lecture à volonté.

Sur ma lancée du name dropping je ne peux m'empêcher de citer les acteurs principaux. La belle cantatrice qui fait chavirer tous les cœurs a un visage un peu empâté. Georgette Leblanc, âgée de 55 ans, avait investi sa fortune dans le film en échange du rôle principal. Elle a tout perdu dans l'aventure. Le jeune premier Jaque-Catelain qui joue le savant, acteur fétiche de Marcel L'Herbier, a pour seule expression l'art d'écarquiller les yeux. Ce choix d'acteurs peut en partie expliquer l'échec du film.

L'histoire de l'Inhumaine, film qui dure 2 heures mais qui aurait pu être réduit de moitié a le charme de la naïveté et de la croyance au progrès scientifique liée à l'époque. Une cantatrice qui a une certaine ressemblance avec Bianca Castafiore, mais avec les cheveux raides, éconduit tous ses amants alors que les plus grosses fortunes sont à ses pieds. L'opinion publique lui reproche d'être une femme sans cœur, inhumaine. Un jeune savant aux gros yeux maquillés, qui a inventé la télévision dans son laboratoire et qui expérimente une machine à ressusciter, tombe amoureux d'elle. Mais la cantatrice succombe, victime d'un soupirant déçu. Les dernières images, grâce à un montage épileptique, nous plongent au cœur de l'expérience ultime.

Je voulais venir à tout prix pour l'Expérience dangereuse, par amour pour l'Humanité.
Zolo31
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le 16 juin 2022

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Zolo31

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