Souvent considérée comme une œuvre mineure du cinéaste allemand, City Girl est pourtant un vrai petit bijou de mise en scène, au charme fou et à la beauté renversante. En fait, son plus grand défaut est d'être arrivé en retard. Le film est tourné alors que le muet est pratiquement mort et surtout, il a la malchance de succéder à L'Aurore. Et il est vrai, qu'il est difficile de tenir la comparaison avec un tel chef-d'œuvre. Pourtant, les deux films ne se ressemblent pas tant que cela, on retrouve toujours l'opposition ville/campagne et bien évidemment un couple dont l'amour va être mis à l'épreuve. Pour le reste, City Girl se distingue grandement de son aîné avec son personnage central féminin et puis, cette fois-ci, Murnau ne va pas idéaliser un milieu plutôt qu'un autre, son film se veut assez réaliste voire presque documentaire lorsqu'il aborde le travail des moissons.
Mais c'est sur la forme que les deux films vont différer le plus, ici Murnau abandonne l'expressionnisme pour un style beaucoup plus « américain », qui ne perd ni en efficacité ni en virtuosité. Si on pouvait nourrir quelques appréhensions avant de voir la péloche, celles-ci s'envolent dès les premières images tant la maîtrise du cinéaste est effarante : c'est avec brio et modernisme qu'il caractérise l’émulation urbaine à l'écran, tout en mettant joliment en lumière la solitude des deux paumés de la vie que sont Kate et Lem. Et puis certains plans confèrent au sublime comme ce travelling nous montrant l'arrivée du couple à la ferme au travers d'immense champ ; magnifique !
Avec son film, Murnau voulait rendre hommage au travail du blé, comme a pu le faire Eisenstein avec sa Ligne générale. Fort heureusement, contrairement au russe, il a su éviter le piège du froid exercice de style. Ici, il y a des émotions, il y a de la passion, comme dans les grands mélos de Borzage... ce n'est pas pour rien si on retrouve le couple vedette de la Femme au corbeau. Le cœur du film c'est elle, Mary Duncan ! Murnau va la filmer sous toutes les coutures pour nous faire partager les joies et les peines de cette City girl : on va la voir rêveuse dans son minuscule appartement, idéalisant la vie à la campagne, puis retomber vite sur terre en s'opposant à son beau-père, un bouseux puritain et autoritaire, tout en étant déçue du manque de soutien de son mari qui n'ose affronter la colère paternelle. Elle va se muer en femme courage en bravant les quolibets et les regards insidieux du reste de la famille et des travailleurs saisonniers. Cette City Girl, elle représente la femme moderne et déterminée, à l'opposé de la passivité de La Femme de L'Aurore.
City Girl n'a pas l'ampleur de son glorieux aîné, la simplicité de son histoire donne l'impression de l'avoir déjà vue des centaines de fois. De même, si Murnau ne s'attarde pas trop sur la description des moissons ( les scènes sont magnifiques mais ne durent qu'une poignée de minutes), on peut lui reprocher de traiter superficiellement la dépendance économique du monde rurale par rapport au monde urbain ; c'est vrai, mais ce n'est pas tellement le sujet. Le gros reproche que je ferais concerne le traitement superficiel des personnages : la mère de famille est beaucoup effacée, quant à Reaper, qui est censé représenter le danger adultérin, il semble tellement répugnant que l'on n'imagine pas un seul instant que la belle Kate puisse tomber dans ses filets.
Pour le reste, avec City Girl, Murnau fait une nouvelle fois la preuve de son immense talent de metteur en scène en conjuguant avec une simplicité apparente émotions et émerveillement.