Avec ce dernier film hollywoodien, Fritz Lang signe un réquisitoire serré, implacable, pessimiste et amer d'une rigueur exemplaire. Il va ensuite quitter Hollywood pour retourner en Allemagne, et réaliser le diptyque Tigre du Bengale et le Tombeau hindou, puis finir par le Diabolique Dr Mabuse. Il aura pendant 20 ans fait un beau parcours hollywoodien qu'il entama en 1936 par Fury, un réquisitoire sans concession contre l'intolérance et la violence citoyenne.

A la passion et à l'énergie de Fury, Lang propose ici un style presque documentaire, d'une sécheresse et d'une dureté surprenantes ; avec l'âge, Lang a épuré son style, en a banni tout effet plastique et toute recherche formelle, et avec cette sécheresse quasi documentaire, son étonnante démonstration engendre un trouble. Car on met du temps à connaître le personnage incarné par Dana Andrews, et lorsque l'on est familiarisé avec sa personnalité, on apprend qu'on ne connaissait en fait qu'un de ses visages. On ne peut légitimement pas croire le réalisateur lorsqu'il déclarait n'avoir voulu faire avec ce film qu'une oeuvre engagée contre la peine de mort et l'erreur judiciaire ; en effet, L'Invraisemblable vérité est beaucoup plus que ça.

Lang nous assène d'abord un sujet original (qui sera au passage repris dans des films modernes des années 80 et 90, avec des variantes), mais surtout, il nous balance un coup de théâtre final déconcertant qui ne peut que provoquer chez nous, spectateurs, un véritable vertige. Cette révélation nous fait voir retrospectivement l'ensemble du film d'une manière toute différente, le film à thèse initial se transforme alors en une stupéfiante variation sur l'innocence et la culpabilité, sur le vrai et le faux. En quelques secondes, tout ce que l'on commençait à avoir comme idée sur la situation, tout ce que l'on croyait acquis est d'un seul coup balayé, et on revoit l'intrigue sous une autre latitude. Je ne peux évidemment pas révéler de quoi il s'agit pour ne pas spoiler.

A cette construction narrative conçue avec une redoutable efficacité, et à l'impact du renversement final qui crée une sorte de malaise diffus, s'ajoute la remarquable interprétation du couple vedette Joan Fontaine, très classe et respectable, mais surtout Dana Andrews qui trouve là un rôle ambigu car son personnage manifeste une froideur et une absence émotionnelle suspectes, mais qu'on en vient à souhaiter sa libération salvatrice de la chaise électrique. Un film déroutant mais majeur de Fritz Lang.

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le 3 avr. 2024

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