C’est à un cinéma étrangement atemporel que nous convie Philippe Garrel. Par la forme d’abord, un noir et blanc velouté qui ne cherche pas à donner l’illusion d’appartenir à une époque révolue qu’on verrait comme l’âge d’or du cinéma, et une vision de la ville ou des mœurs qui pourraient indifféremment appartenir aux quatre dernières décennies. Par le sujet, l’éternelle partition douloureuse de l’amour, de la fidélité et de la définition fluctuante de ce que veut dire aimer, s’engager ou se désunir.


Tout semble modeste ici : la durée du film, 70 minutes, le jeu des comédiens qui ne cherchent jamais à trop en faire, le statut de leurs personnages, vivotant pour se consacrer à leur passion, le documentaire. La mise en abyme est certes évidente, elle n’en est pas moins riche : cette quête de vérité, par les entretiens avec la génération des résistants en voie d’extinction, symbolise autant qu’elle occulte le rapport des jeunes adultes à leur propre existence : qu’est-ce qui, du mensonge ou de la vérité du sentiment, fait d’eux des êtres vivants ?


L’infidélité semble être l’épreuve à partir de laquelle on saura se définir, et sur laquelle le cinéaste différenciera avec une cruauté lucide la différence entre les hommes et les femmes. Sans pathos excessif, il dissèque la lâcheté de l’un, le courage de l’autre, l’aménagement confortable du mari partant du principe que « les hommes sont comme ça », et confronté à la douleur de savoir que sa femme peut aussi aller voir ailleurs.


L’ombre des femmes est un marivaudage qui aurait occulté sa dimension comique, au profit d’une certaine ascèse dans laquelle se loge pourtant une évidence assez confondante. Il ne s’agit pas de dénoncer, mais d’établir un constat non dénué d’une certaine part de tendresse, voire de bienveillance pour la fragilité humaine, et particulièrement masculine. La femme, mère en puissance, est celle qui sait, qui initie et qui décide, tandis que l’homme croit toujours pouvoir s’en sortir par des détours qui ne font qu’enliser la situation. Ce chassé-croisé, admirablement restitué par des comédiens d’une grande justesse, ne révolutionnera ni l’histoire du 7ème art, ni les vérités sur l’amour. Mais il en dit avec tact et sans effets de manche de nombreuses inflexions.

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le 7 janv. 2016

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Sergent_Pepper

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