L'amer béton de la Défense

Dans le cadre de la Cinexpérience #32, nous avons pu assister à l'avant-première de L'Outsider suivi d'une séance de questions-réponses avec le réalisateur, Christophe Barratier (Les Choristes) et l'acteur principal, Arthur Dupont (Mobile Home) que j'ai malheureusement dû quitter avant la fin.

L'Outsider est tout simplement "l'histoire de Jérôme avant Kerviel" comme l'a décrit le réalisateur. On s'intéresse à la vie de Jérôme Kerviel, les huit années entre son entrée à la SG et le moment où "l'affaire Kerviel" devient publique.
Etant donné sa vie à ce moment-là, on va donc surtout voir son travail, de 7h à 22h, comment il a commencé par assistant en middle-office avant de passer trader et ses quelques relations humaines (représentées par des personnages fictifs) et son manque de relation avec ses parents.

Même si le réalisateur n'a pas caché connaître Jérôme Kerviel et même être devenu assez proche. Le film essaie de trouver un compromis entre la version de la banque (nous n'étions au courant de rien) et celle de Kerviel (ils savaient tout et m'ont laissé faire). Le film tente simplement d'humaniser le personnage public, de nous montrer la pression subie au quotidien au cœur de la salle de trading, véritable personnage à part entière du film, montre la hiérarchie qui ne dit rien tant que l'argent rentre dans les caisses et ce qui se passe lorsque ce n'est plus le cas.

Et pour mettre tout ça en exergue, Christophe Barratier passe pratiquement d'une comédie à un drame. Le début du film, grâce au personnage de François-Xavier Demaison, part bien dans la déconnade. Cela sert à la fois à la montée en puissance du film mais aussi à illustrer l'ambiance dans la salle de trading, faite de beaucoup de pression et de moments sérieux mais aussi de franche rigolade pour décompresser, comme dans beaucoup de métiers sous pression. Et dans ce rôle de mentor/gourou, Demaison est particulièrement bon.

Tous les acteurs jouent bien mais il faut avouer qu'Arthur Dupont, forcément omniprésent dans le film, parvient à retranscrire à la fois un côté naïf mais aussi très nerveux du personnage. Cet homme qui "n'est pas fait pour le trading", sans diplômes par rapport à ses collègues (puisqu'il n'a "que" un master de l'université de Lyon) et qui manque clairement de limites et de conséquences de ses actions, qui flambe comme une personne addicte aux jeux et aux paris (au 31/12/2007, un mois avant l'annonce des pertes de 4,9 milliards d'euros, Jérôme Kerviel avait 1,4 milliard de gain.

Bref, la thèse du film est clairement que, si Jérôme Kerviel a des défauts (il a notamment fait un faux mail de la Deutsche Bank pour se couvrir et a bien évidemment enfreint les règles de trading et la loi, il n'est pas le seul responsable puisque sa hiérarchie était forcément au courant. En effet, pour perdre 5 milliards d'euros, il a fallu que Kerviel mette en jeu 50 milliards d'euros, 2 fois les fonds propres de la banque ! Difficile en effet de croire que personne n'ait pu le voir. Comme l'a dit le réalisateur : "C'est comme si vous aviez 3 supermarchés. Deux vous rapporte 3000€/jour et le 3e vous rapporte 600 000€/jour. Vous allez forcément aller voir de plus près ce qu'il vend pour rapporter autant." Kerviel rapportait 200 fois plus que ses collègues.

Le film en lui-même est bien réalisé, bien monté et plutôt pélagique (parmi les spectateurs, quelqu'un s'est dit ignorant de toute cette affaire et a tout de même compris et apprécié le film). Je regrette juste qu'une des deux notions importantes utilisées par les traders dans le film (le "spiel" et le "carpet" - voir page 15) n'ait pas été aussi bien expliquée que l'autre.

Dans l'ensemble, le film est convaincant, intéressant et permet d'avoir un point de vue plus humain du personnage et de l'affaire qu'il aura engendrée.