Lorsqu'il enregistre les images et les sons de La Bataille du Chili, Patricio Guzmán réalise un documentaire en se trouvant exactement au bon endroit au bon moment, au détour d'une charnière historique dont il ne pouvait mesurer pleinement l'ampleur à l'époque du tournage, et qui aujourd'hui revêt une signification, une intensité et une émotion toutes incroyables. C'est sans doute un triptyque à ranger aux côtés du film de Abbas Fahdel en deux parties, Homeland : Irak année zéro, sur la chute de Saddam Hussein et l’invasion américaine de 2003. Guzmán sillonnait la capitale chilienne quelques mois avant le coup d'état militaire du 11 septembre 1973, et les images de rue autant que les témoignages glanés auprès des différentes parties ont une valeur littéralement inestimable.
C'est donc une chronique des tensions politiques naissantes au tout début de l'année 1973, alors qu'à la surprise générale le gouvernement de Salvador Allende (à qui il consacrera un documentaire en 2004 portant son nom) est démocratiquement élu. Ce sont les prémices de la contre-révolution, qui trouveront pour point d'orgue le renversement d'Allende par un putsch militaire activement soutenu par les États-Unis et l'installation au pouvoir d'une dictature dirigée par Augusto Pinochet qui durera près de 17 ans jusqu'en 1990.
Pendant tout le docu, on a l'impression de parcourir les coulisses (bien réelles) du film (de fiction) de Costa-Gavras, Missing - Porté disparu, qui s'intéressait précisément à la disparition d'un écrivain américain dans le tumulte des événements autour de Santiago. Guzmán capte dans un premier temps l'effervescence de la campagne électorale, en parcourant les foules et les sympathisants de tous bords et en recueillant sur le vif des réactions diverses, des bourgeois et d'ouvriers. Progressivement la dynamique des rapports de force prend une tournure surprenante, pour peu que l'on fasse abstraction historiquement de ce que l'on sait qui va advenir, puisque l'opposition au gouvernement Allende élu de manière inattendue se structure autour d'une réponse de plus en plus violente. C'est donc par hasard que la caméra enregistre de l'intérieur la structuration d'une stratégie d'affaiblissement du gouvernement, pas à pas, jusqu'à l'asphyxie économique.
Au travers d'une série de reportages de rue, de rassemblements politiques, de confrontations violentes, on réalise à quel point Guzmán a eu de la chance (ou du flair) de réunir autant d'images de ces mouvements sociaux, comme notamment la grève des mines de cuivre ou nombre d'autres perturbations financées par l'administration Nixon. Et cette première partie, sous-titrée "L'Insurrection de la bourgeoisie", de se terminer sur une image aussi choquante que bouleversante, l'assassinat du caméraman argentin et suédois Leonardo Henrichsen par un soldat participant au coup d'état.
>> Partie 1 : https://www.senscritique.com/film/la_bataille_du_chili_1ere_partie_l_insurrection_de_la_bourgeoisie/critique/294564668
Partie 2 : https://www.senscritique.com/film/la_bataille_du_chili_2eme_partie_le_coup_d_etat_militaire/critique/294564617
Partie 3 : https://www.senscritique.com/film/la_bataille_du_chili_3eme_partie_le_pouvoir_populaire/critique/48568207
https://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Bataille-du-Chili-de-Patricio-Guzman-1975-1976-1979