Le mode d'expression utilisé dans La Belle pour décrire une étape charnière de la fin de l'enfance peut s'avérer déroutant, sous certains aspects très subjectifs (au sens où ils ne s'expliquent pas vraiment au-delà des sensibilités individuelles). Si quelques choix artistiques ne m'ont pas mis parfaitement à l'aise, dans l'ensemble, cette petite pépite largement méconnue du cinéma soviétique pré-lituanien dispose d'un fort capital sympathie. Elle brille par son originalité, par son humilité, et par la sincérité de son regard sur l'enfance en dépit de partis pris étonnants. Cette petite Inga Mickyte dégage quelque chose de très particulier, tout autant que le cadre géographique, ce quartier vraisemblablement ouvrier, comme oublié, à la marge, suspendu on ne sait dans quelle temporalité. Le joli travail de restauration et la post-synchronisation de l'audio n'aident pas à replacer facilement le film dans son contexte, la fin des années 1960, mais on peut malgré tout ressentir l'influence de la Nouvelle Vague dans la grande liberté qui s'en échappe, comme si la structure était volontairement décousue, collant en ce sens assez bien au portrait très incertain de l'enfance que le film entend embrasser.


Indépendamment de la qualité de la restauration, La Belle flatte les sens par l'esthétique de sa mise en scène, à la fois ample et surprenante. Les plans-séquences qui accompagnent Inga dans sa danse tout sauf naturelle pour un enfant de son âge (chose a priori volontaire, j'imagine, justement pour souligner une sorte de prise de conscience ou de passage à l'âge supérieur) contrastent avec les plans plus rêches de son environnement, dans son appartement, avec cette mère seule dont on évoquera explicitement la solitude uniquement en toute fin de film. Le ton est à la fois digressif et introspectif, au gré des humeurs de la jeune protagoniste de 9 ans qui voit son équilibre bouleversé le jour ou un garçon extérieur à son cercle d'amis lui dit qu'il la trouve laide à cause de ses éphélides (toujours bon à placer celui-là). Cette configuration idiosyncratique (là j'abuse) permet à La Belle de conserver une part non-négligeable de sincérité malgré ces accès d'artificialité (volontaires ou pas), entre les danses étranges et la musique répétitive (illustration ici).


Le monde des enfants d'un côté, le monde des adultes de l'autre. La mère ne se laisse pas apprivoiser, ni par sa fille ni par nous spectateurs, exclue dans une certaine distance, mais il y a aussi le vieil homme qui évoque ses souvenirs, avec sa maison en ruines et les terrains vagues, offrant un joli contraste avec l'espoir porté par la jeune fille et son attrait pour les fleurs et l'aurone. Elle qui reste persuadée qu'un balais fait de branches mortes peut refleurir, alors qu'elle se trouve à un moment-clé de l'enfance, à ses premiers soubresauts, attaquée dans sa confiance et sa conscience tranquille du monde, au bord de la désillusion à cause d'une simple remarque méchante (sincère ou pas). Il y a sans doute aussi un sous-texte lié au passage d'une génération à l'autre, teinté de mélancolie. Un petit vent triste enveloppe le tout, avec le trio de personnages (la fille, la mère, le vieil homme) prisonniers d'une forme de solitude, enfermés dans une forme d'attente inexorable. Un mari qui ne rentrera pas, un présent ingénu qui semblait éternel jusqu'à ce qu'il soit chamboulé en un éclair, et ce foutu temps perdu qui ne se rattrape plus.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Belle-de-Arunas-Zebriunas-1969

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le 26 avr. 2019

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Morrinson

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