En 1965, Peter Watkins travaille pour la BBC qui lui commande un court-métrage portant sur les effets du nucléaire. Le résultat est un docu-fiction (présenté comme tel) qui imagine une guerre entre l'OTAN et l'URSS, une attaque atomique soviétique sur l'Angleterre, et les conséquences qui en découlent.
Récompensé par le BAFTA mais interdit de diffusion sous la pression du gouvernement de l'époque, La Bombe constitue l'un des films fondateurs du style Watkins, alors encore embryonnaire, et préfigure un genre hyper-réaliste de documentaire-fiction spéculatif dont Punishment Park, réalisé 6 ans plus tard, sera l'archétype.
Il présente son approche par les termes suivants : "Which - if either - was 'reality' ? - the fake interviews in which people quoted actual statements made by existing public figures, or the newsreel-like scenes of a war which had never taken place?"
Le mélange d'interviews, de (re)constitutions, et de photo-montages, fait mouche, tandis que le narrateur fait état de précisions techniques sur l'armement disposé par les forces en présence, leur puissance, la prévention très limitée faite par les autorités, les capacités d'adaptation de la population en fonction de ses moyens financiers, et finalement le déroulement d'une hypothétique attaque sur le Kent et ses conséquences déjà envisageables du fait des connaissances retirées des expériences du bombardement de Dresde, Darmstadt, Hambourg, et bien-sûr de Nagasaki et d'Hiroshima.
Ainsi, Watkins parvient à garder une frontière claire entre réalité et spéculation (sauf peut-être pour les interviews de passants dont on ignore s'ils prennent pour objet de réels inconnus ou des acteurs).
Les conséquences instantanées de l'attaque sont montrées caméra à l'épaule, via des plans vifs, rapides et serrés, question de moyens, qui renforcent le réalisme. Watkins ne semble pas encore rejeter toutes les techniques employées par le cinéma pour faire croire à ce qu'il montre. Le résultat est impressionnant en soi. Les scènes suivantes, qui sont parmi les plus choquantes, s'étendent d'avantage, avec un rythme plus lent, pour traiter de l'agonie, des séquelles.
Sur le fond, outre la précision et le réalisme des informations apportées (heure par heure, jour par jour), et les angles sociaux, politique, logistique, psychologique, qui sont adoptés, le film aborde aussi le point de vue des institutions morales (religieuses) sur l'arme nucléaire, leur dépassement face au contexte, et le double langage dans leur adaptation aux positions gouvernementales sur le développement du nucléaire militaire.
Après 48 minutes de film, dont une bonne moitié d'effroi pur et simple, le spectateur a franchement de quoi devenir pacifiste ou éco-terroriste.
C'est donc un documentaire riche, bien monté, réaliste de par le style employé et la documentation effectuée pour le commentaire. Un film pionnier qui inspirera d'autres productions ultérieures (Le Jour d'Après, Threads), et aurait pu d'autant plus marquer les esprits s'il avait été largement diffusé à l'époque dans une société en proie à la peur d'une troisième guerre mondiale mais qui en grande partie ignorait tout de l'ampleur réelle des dégâts physiques, mentaux, sanitaires, économiques, et politique, qu'elle pourrait causer.
Je mets 3 étoiles pour la réalisation, 2.5 pour le montage, et 2.5 pour la documentation précise.