La Colline aux coquelicots
6.9
La Colline aux coquelicots

Long-métrage d'animation de Gorō Miyazaki (2011)

Clairement pas un grand film, eu égard des précédentes productions Ghibli, et surtout vis-à-vis de Papa Miyazaki. Mais La Colline aux Coquelicots à tout de même quelque chose pour lui, c'est le Ghibli le plus "réaliste" depuis Le Tombeau des Lucioles. Les films Ghibli sont généralement construits comme des métaphores du réel, une concession au réalisme qui leur permet de véhiculer des messages aussi simples que l'amitié, l'honneur ou le respect avec un chat géant, un cochon pilote d'avion ou encore un feu-follet plutôt bavard.

Ici, on sera donc surpris de retrouver une représentation très fidèle d'un Japon en pleine relance économique après la guerre de Corée avec de vrais gens et de vrais bateaux qui naviguent sur une vraie mer. Cela confie un cachet très particulier au long-métrage (chose que les gens de chez Ghibli auront certainement remarquée eux aussi, eu égard du message final, avant le générique). Pour autant, le style graphique est reconnaissable entre tous, quand bien même l'aspect fantastique y serait ici totalement gommé.

Ce qui plombe le film, finalement, c'est son scénario. Parce qu'il est encore possible de passer outre la musique de Satoshi Takebe, pas aussi inspiré qu'un Joe Hisaishi, du rythme poussif ou de ce fameux sens de la métaphore que l'on ne retrouve pas ici ; mais tout ceci est bien vain si l'on ne nous donne pas une belle histoire à regarder. Or ici fiston Goro et ses scénaristes ne savent pas vraiment où ils veulent aller. La première partie du film est excellente, l'histoire simple mais engageante d'un vieux foyer étudiant sauvé de la destruction par ses pensionnaires. Après une introduction un peu poussive, on s'émerveille, en entrant dans cette vieille bâtisse aménagée comme une cour des miracles, de voir clubs de philosophie, d'astronomie, de chimie, de journalisme et autres cohabiter comme dans une auberge espagnole.

La critique de @Flagblues (à lire ici : http://sens.sc/17CjvF2) est sans doute plus claire sur ce que je souhaite exprimer à ce sujet, mais disons que l'on a envie d'y être. C'est l'image d'un passé où l'on se déplace majoritairement à bicyclette, où la télévision n'est encore que cet énorme poste en noir & blanc présent dans quelques foyers seulement, un passé sans ADSL (l'horreur), et pourtant l'on a envie d'y être. Pas par anti-modernisme, mais parce que le réalisateur a su mettre en valeur l'état d'esprit très particulier qui régnait à cette époque.

Voilà pourquoi je n'ai pas envie d'accabler le film, car Goro a réussi à piquer quelques talents très importants à son Papa. Dans le lot, on retrouve ce sens de la scène et de l'ambiance, et cette capacité à retranscrire une atmosphère avec une aisance déconcertante. Le problème c'est qu'en-dehors de ces fabuleuses séquences, où l'on assiste tour-à-tour à des tranches de vie quotidienne au sein d'un hinata, à la rénovation agitée d'un vieux foyer étudiant ou encore au périple de trois étudiants au sein d'une entreprise tokyoïte, se dessine une petite histoire d'amour teintée de mélodrame, déjà plutôt simpliste à la base, mais alourdie par une sous-intrigue sur fond de paternité totalement inintéressante. Si vous n'avez rien compris à tout ce que vous venez de lire, c'est normal, c'est un peu l'état d'esprit dans lequel on est en sortant de la séance.

Je pense personnellement que l'on aurait pu s'en tenir à l'histoire de deux jeunes irrémédiablement attirés l'un vers l'autre alors qu'ils participent à la rénovation de leur foyer. Malheureusement, en milieu de métrage, la vapeur s'inverse, on n'entend presque plus parler du foyer (l'occasion de faire disparaître les quelques bons seconds rôles) et le film s'embourbe dans une recherche de la figure paternelle guère passionnante. C'est d'autant plus dommageable qu'en gardant un scénario clair et une histoire simple comme ligne de conduite, La Colline aux Coquelicots aurait pu espérer bénéficier du même capital sympathie qu'un Totoro pour les plus vieux.

Heureusement, le long-métrage laisse tout de même un arrière-goût plutôt doux après visionnage. Aujourd'hui, plus d'une semaine après l'avoir vu, je reste sur une bonne impression, un contraste agréable après Les Contes de Terremer que j'avais déjà oublié en posant le pied dans le métro pour rentrer chez moi. Un film diablement imparfait donc, mais fidèle à la réputation des studios Ghibli puisqu'il permet de s'évader pendant un cours instant dans un Japon de carte postale. Quant à Goro Miyazaki, si son héritage s'avère être une véritable épée de Damoclès accrochée avec trois bouts de scotch au-dessus de sa tête, on aurait tort de l'accuser de tous les maux, car avec quelques leçons intensives de scénario et de narration, il pourrait devenir un réalisateur tout à fait décent. Il n'y a plus que se mettre au boulot.
HarmonySly
6
Écrit par

Créée

le 20 janv. 2012

Critique lue 2.4K fois

70 j'aime

6 commentaires

HarmonySly

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

70
6

D'autres avis sur La Colline aux coquelicots

La Colline aux coquelicots
takeshi29
8

Quand l'animation refuse la surenchère

Pendant que la souris US continue à nous servir de la princesse, de la bonne vieille méchante, du prince plus ou moins charmant, le tout enrobé de chansons niaises calibrés pour les Oscars, son...

le 5 févr. 2012

48 j'aime

6

La Colline aux coquelicots
SBoisse
8

Jolie et gentille bluette nippone

La Colline aux coquelicots est l'adaptation, réussie, d'un manga shōjo, c'est-à-dire d'une bluette. Une bluette est une histoire sentimentale et platonique pour jeunes filles en fleurs. Une bluette...

le 23 janv. 2018

37 j'aime

2

La Colline aux coquelicots
Docteur_Jivago
6

Dans l'ombre d'Hayao

Une fois La Colline aux coquelicots terminée, j'ai, en partie, eu le même ressenti que pour Arietty, c'est-à-dire l'impression d'avoir visionné une oeuvre sympa, plutôt inventive, tendre et meilleur...

le 11 avr. 2016

37 j'aime

3

Du même critique

Portal 2
HarmonySly
10

I'm in spaaaaace

Critique garantie sans spoiler. C'est certainement présomptueux de noter d'un joli 10 un jeu que l'on a fini comme un goinfre le jour-même de sa sortie, mais pour Portal 2 j'ai envie de faire cette...

le 20 avr. 2011

153 j'aime

29

Sucker Punch
HarmonySly
2

Les aventures de Zack & Steve (Warning : Spoilers Ahead !)

« John ! John ! John ! Cʼest affreux ! Cʼest horrible ! Cʼest... » En entrant dans le bureau, John tombe sur son collègue, absorbé dans la lecture dʼun livre. « Mais, John, tu lis ? What the fuck ? -...

le 31 mars 2011

142 j'aime

89

Her
HarmonySly
10

Ghost in the Machine

(Je tiens à préciser que je tâcherai d’écrire cette critique en évitant tout spoiler gênant, mais difficile de parler d’un film aussi riche sans dévoiler quelques éléments d’intrigue. Par avance, je...

le 16 janv. 2014

129 j'aime

51