"Nous devons passer l'Europe au peigne fin d'Est en Ouest. Des Pyrénées à l'Oural, aucun juif ne doit subsister". Reinhard Heydrich.
"La Conférence" est un film particulièrement éprouvant. Mais aussi saisissant que terrifiant.
Pendant un peu moins de deux heures, nous sommes plongés dans une réunion entre dignitaires nazis issus de tous les domaines du Troisième Reich, située dans la luxueuse villa Marlier, au bord d'un très beau lac. C'est lors de cette réunion autour d'une table, dans un petit salon que la Shoah, la Solution finale, sera planifiée et amplifiée à l'échelle européenne...
Ce que j'ai beaucoup aimé dans ce film, c'est son authenticité. Son réalisme. Pas de musique, nous sommes concentrés sur les paroles des personnages. Pas de sentimentalisme, de pathos, de grandiloquence... Tous les écueils sont évités. Les discussions et tergiversations entre les personnages sont aussi complexes que simples. Durant leurs pauses, on les entend parler de leur famille et de leur vie quotidienne, tout en réfléchissant à la mise en place d'une machine à exterminer, et à de petites alliances pour préserver leurs intérêts.
Malgré un manque d'action et certains personnages mis de côté, La Conférence reste un excellent huis clos, avec une recherche historique pertinente. La direction d'acteur, la mise en scène, la réalisation sont particulièrement frappantes.
Et ce qui nous marque dans ce film, c'est que les participants de la conférence sont issus de tous les domaines du Troisième Reich : Officiers de la SS, de la Wehrmacht et de la Gestapo, politiciens et fonctionnaires des ministères, représentants du parti nazi, juristes et médecins. Ils se disputent souvent, leurs tensions, leurs différences de caractères et de buts sont montrées. Mais ils ont tous en commun le désir de mettre en place le projet le plus abject qui soit : Amplifier ce qui a déjà commencé, exterminer une dizaine de millions d'hommes, où plutôt "traiter" afin de "purifier la race aryenne". D'ailleurs le champ lexical de la mort est totalement absent dans ce film, alors qu'il s'agit de planifier la "Solution finale" !
Ils sont une quinzaine attablés dans la villa Marlier, et chacun représente une pièce de puzzle du système totalitaire nazi, qu'il soit bureaucrate, fonctionnaire, juriste, militaire ou policier.
Mention spéciale pour Philipp Hochmair en Reinhard Heydrich. Son regard de glace, ses paroles immondes, ses gestes martiaux, sa diabolique intelligence de planificateur heureux et fier à l'idée de rayer plusieurs millions de vies humaines de ce monde. L'acteur semble habité dans ce rôle terrifiant. Son talent lui permet de retranscrire avec brio le personnage historique fanatisé par la pire des idéologies. C'est là que l'on voit toute l'importance d'Heydrich dans les crimes contre l'humanité de la Seconde Guerre Mondiale, et qu'aucune personne saine d'esprit ne peut avoir de sympathie pour le nazisme...
Les acteurs jouant Adolf Eichmann (très frappant et impitoyable quand il présente les chiffres représentant les juifs et les méthodes d'extermination), Josef Bühler (dégoûtant et fielleux), Wilhem Stuckart (fourbe et manipulateur), Friedrich Kritzinger (lâche et veule, mais le seul qui semble dégoûté du sujet de la conférence, alors que tous les autres y prennent du plaisir. Ses sentiments humains sont montrés quand il fait référence à son passé de vétéran de la Grande Guerre) ainsi que Karl Schöngarth (zélé et fanatique). Le fait que tous les acteurs soient allemands ou autrichiens aide beaucoup au réalisme.
Les personnages de ce film sont chacun une incarnation différente du Mal, avec des méthodes et des motivations divergentes. Beaucoup sont intelligents, usent de rhétorique et d'éloquence pour imposer leur point de vue. Ils savent très bien les conséquences de leurs actes. Certains en sont fiers, d'autres préfèrent regarder ailleurs, tant qu'ils ont leur place au banquet de la victoire finale... Ils ne sont pas fous, ni bestiaux. Ils sont monstrueux, abjects, immondes. Aucune autre espèce vivante sur Terre n'est allé aussi loin dans l'ignominie. Ils sont ce que l'Homme peut imaginer et commettre de pire.
"La conférence" est sans doute le meilleur film qui pouvait se faire sur un sujet aussi éprouvant et difficile à traiter. Une pièce à conviction historique frappante et marquante. Toutes les étapes de ce génocide sont racontés, des lois de Nuremberg au Zyklon B en passant par les Einzatzgruppen ...
On découvre même le projet avorté d'un camp de concentration pour la population juive... À Madagascar !
Comme disait Primo Lévi : "Ces briques ont étés appelées Ziegel, mattoni, tegula, cegli, kamenny, bricks, téglak, et c'est la haine qui les a cimentées."
Ce que nous pouvons espérer, c'est que ce film puisse servir de vaccin contre tous les totalitarismes. Nous ouvrir les yeux, et pouvoir rêver d'un monde meilleur afin qu'un événement aussi sinistre ne se reproduise jamais...