Rien de plus cynique, jouissif, et subtil que La corde. Sans être gigantesque connaisseur de Hitchcock (Les Oiseaux, Vertigo, L'homme qui en savait trop, La corde, et je l'avoue, le biopic), mais l'appréciant en tant que spectateur détrompé que passionné que je suis, c'est à la fois en commençant à penser que Hitchcock ne pouvait pas se réduire à un seul type de film, chacun ayant son style propre, et en tant que théâtreux que La corde m'a semblé gigantesque.

Dans les huit plan-séquences que compte ce huis clos, les situations introduites peu à peu sont dignes d'un Feydeau ou d'un Guitry, allant toujours plus loin dans le cynisme et le glauque. La mort, sujet aujourd'hui tabou, remplacé par moult euphémismes, traité sans respect de la personne humaine, est enfin traité à sa juste valeur, dans un acte qui réunit tous les types de personnes : le meurtre. Les amours, les parents, le suspicieux James Steward, tout y passe, et, passé le rocambolesque de cette situation, le personnage de Rupert revient tout en subtilité pour donner une fin plus sérieuse, plus grave, plus fatale, à ce qu'il avait imaginé dès le début. Le film est divisé comme en deux parties, la réception pourrait encore durer longtemps, tandis que la fin synthétise la réflexion générale du film, claire, toute en subtilité, sans en faire trop et sans faire passer ce respect de la personne, de la vie, et de l'amour, pour un simple message engagé. D'ailleurs, de mon point de vue, l'homosexualité des deux héros ne m'a pas du tout sauté aux yeux et elle est bien le dernier de mes soucis, je ne vois pas du tout comment un sujet aussi social et aussi facile dans un film pourrait ternir ce beau tableau. Les passages de la caméra derrière les personnages et le nombre de passages où l'écran est noir ne sont pas très esthétiques, mais, en se laissant happer et par le cynisme et par les soupçons, je l'ai assez vite oublié au profit de l'exercice de style technique et jouissif de notre cher Alfred. Le fil est à apprécier tel qu'il est, et je suppose que toute exégèse nuirait au plaisir jouissif que l'on peut en tirer.

La bouffée d'air frais qu'est La corde jouit d'une forme cinématographique audacieuse et théâtrale, d'un traitement subtil, sujet qui mérite d'être étudié et qui devrait en faire rêver plus d'un ; qui n'a jamais rêvé, à l'occasion d'une fête, d'une semaine du meurtre qui devrait être instaurée, ou mieux, dans la gratuité absolue, d'étudier un meurtre du point de vue sociologique, de le calculer pour en faire un art parfait, de jouir de sa reconnaissance, de sa logique, et de son non-sentimentalisme ? À ce point-là, nul besoin de parler de meurtre, c'est tout l'intérêt dans les règles de l'art d'un assassinat.
Ashen
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le 10 juin 2013

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Ashen

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