Étonnamment, The Lady from Shanghai est resté dans les mémoires pour diverses raisons qui n'ont rien à voir avec ses qualités cinématographiques. Il est devenu le film symbole de la disgrâce entre Welles et les studios hollywoodiens ou encore celui de son divorce avec Rita Hayworth. Mais tout cela importe peu aujourd'hui, The Lady from Shanghai doit être vu avant tout pour ce qu'il est vraiment, c'est-à-dire comme l'un des films noirs les plus troublants et les plus fascinants de l'histoire du cinéma.




Évidemment, ce film a de quoi surprendre et dérouter tant il semble se détacher des canons classiques du film noir. En même temps, croire que Welles pouvait se mouler dans le classicisme hollywoodien relève de la douce utopie, sa filmographie étant d'ailleurs là pour l'attester. Ainsi, une fois n'est pas coutume, notre homme va embrasser un genre avec la ferme intention de laisser exploser son génie créatif ; et le résultat est remarquable :





La narration est modernisée ! S'il suit, pendant un temps, les chemins gentiment balisés, c'est simplement pour mieux s'en détourner. Ainsi, si le début nous laisse entrevoir un banal polar, le récit va progressivement dévier vers l'onirisme. Welles se permet ainsi quelques passages purement surréalistes ou invraisemblables (la scène du procès, l'évasion rocambolesque de O'Hara) qui tranchent considérablement avec le reste, plus classique. On est évidemment un peu perdu et décontenancé devant tout cela, mais au fond quel plaisir d'être baladé de la sorte !




Les codes sont transcendés ! Si on reconnaît facilement, dans The Lady from Shanghai, les attributs habituels du film noir (atmosphère obscure, sombre histoire de manipulation, femme fatale, etc.), ceux-ci nous apparaissent toutefois sous un jour nouveau. L'atmosphère sombre sert à mettre en lumière avant tout la tension sexuelle, les névroses et les perfidies des différents protagonistes. De même, la femme fatale devient ici un être froid et calculateur ; un être pratiquement diabolique pour lequel tout sentiment semble illusoire.




La mise en scène va être sublimée ! Au lieu de nous expliquer, plus ou moins habillement, la relation trouble qui unit Elsa et O'Hara, Welles va nous la symboliser à travers une mise en scène remarquablement bien étudiée. Ainsi, lorsque Elsa se laisse approcher par O'Hara dans la scène de l'aquarium, on peut croire au début d'une belle histoire d'amour ; seulement, la vision envahissante de ces animaux redoutables (requins, pieuvres) ne laisse pas planer le doute sur les véritables intentions de la belle. La mythique scène finale, dans la salle aux miroirs, ne fera que confirmer ces doutes. Après nous avoir fait croire à la beauté chimérique de l'amour, Welles célèbre brutalement son désenchantement ; brillant !





Alors bien sûr, l'étrangeté et la relative complexité du récit peuvent dérouter quelque peu. Mais c'est justement parce qu'il ne ressemble à aucun autre que The Lady from Shanghai est un film précieux et mémorable ! Welles s'exerce ici au film noir et au polar, il y reviendra un peu plus tard avec l'excellent Touch of Evil.


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le 5 déc. 2023

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Procol Harum

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