"Ce n'est pas une image, c'est un lieu", aime à répéter Isabelle Carré, le personnage principal lorsqu'elle fait face à un technocrate français spécialisé dans la communication politique.

Cependant Lionel Baier, le réalisateur, aurait bien fait de l'appliquer à son propre film. En effet, si la photographie de ce film est réussie, que les sublimes paysages siciliens sont mis en valeur, on a la sensation que l'Italie et ses camps de réfugiés ne constituent que des décors.

Décors de fond à une histoire de querelle entre une mère et son fils. Ce dernier me fut antipathique au possible, avec sa révolte adolescente qui le pousse à la fois à faire du rap, être influenceur Tiktok (quand même), se prétendre juif et être un activiste politique caricatural. A propos de ce dernier point, je trouve dommage que Baier fasse passer une critique légitime de l'UE dans la bouche de ce personnage, ce qui tend à désamorcer cette critique en la rendant ridicule.

Quant aux réfugiés, ils ne seront traités qu'en tant qu'objets utiles aux intérêts des "personnages européens". Les technocrates français et allemands veulent les utiliser pour mettre en scène leurs dirigeants (Macron et Merkel); l'eurocrate ne les considère qu'en tant qu'Hommes abstraits tels que Marx en attaque la définition dans sa célèbre critique des Droits de l'Homme; et le fils s'en sert comme ressource à abonnés et à scoops qu'il vendra ensuite à sa copine journaliste. Pendant ce temps, les réfugiés doivent subir et surjouer leur misère réelle sans que cela n'intéresse plus le réalisateur.

Pour finir sur la réalisation, j'ai trouvé que ce film avait davantage de potentiel esthétique et comique, mais qui ne se concrétisait pas à cause d'une timidité du réalisateur. Les scènes sont coupées trop tôt, tout le temps. On aurait envie de savourer une dure vallée asséchée, la chute d'une blague ou l'émotion d'une mère... Mais non, Lionel Baier coupe avant chaque émotion et conserve une neutralité cohérente avec le statut quo politique de son oeuvre.

C'est donc un film relativement court (1h30) qui aurait dû être plus long, tant il y a de choses à explorer sur les sujets abordés.

lecleme
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le 26 mars 2023

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