« Les espoirs déçus ne font jamais beaucoup de bruit »

The Last Hurrah se pense comme un miroir pour un cinéaste qui non seulement trouve un double de sa personne en Frank Skeffington, mais qui compose un film plein d’échos, à l’instar de ce plan sur l’escalier que l’on monte tantôt de façon joviale – c’est le cas du fils égoïste et aveuglé par son plaisir – tantôt de façon solennelle – celui des convives – tantôt de façon maladive lorsque le candidat battu s’écroule au bas de la rampe. Il n’y est question que du défilé, ce défilé qui atteste la vitalité tout autant que l’attachement de Skeffington à une tradition de campagne politique proche des électeurs, physique contre les techniques alors naissantes de diffusion télévisée.


Nous assistons donc au crépuscule d’un âge auquel Ford semble s’identifier, le burlesque de certaines situations disparaissant peu à peu pour laisser à l’écran une légende s’éteindre ; tout se passe comme si le ridicule de l’opposition, parce qu’elle bénéficie des technologies nouvelles, se convertit en crédibilité de masse. La sirène du camion de pompier, symbole du danger que représente cette jeune génération politique idiote mais portée par l’image, devient à terme le chant du cygne pour un politicien contraint de marcher seul en direction opposée, ce qui donne lieu au plus beau travelling du film. La fanfare s’anime mais n’est plus pour lui ; le dernier hourra arrivera ainsi de ses plus proches amis venus rendre un dernier hommage à celui pour qui la politique constitue l’unique chose qui le maintient en vie.


« Les espoirs déçus ne font jamais beaucoup de bruit », reconnaît paisiblement le candidat au milieu d’un déchaînement de cris et de protestations. Car c’est dans ses rares silences, lorsque la machine politique se met en pause, que Skeffington atteste une humanité formidable et chaleureuse que ne sauraient entacher les entreprises frauduleuses et les petits arrangements. Œuvre totale qui mêle le déroulement d’une campagne à la comédie et au drame, œuvre profondément mélancolique mais qui ne cède jamais au désespoir, faisant de son personnage principal, sublimement interprété par Spencer Tracy, le dernier gardien d’un art de faire et de vivre l’Amérique, The Last Hurrah constitue une belle réussite dans la riche carrière de John Ford. À (re)découvrir d’urgence.

Créée

le 28 janv. 2021

Critique lue 271 fois

5 j'aime

Critique lue 271 fois

5

D'autres avis sur La Dernière fanfare

La Dernière fanfare
Torpenn
7

Parti de campagne

Aujourd'hui, vous vous en fichez probablement, mais je devais travailler, me lever à l'aube et suer sang et eau pour gagner mon crouton de pain quotidien et le verre de rouge qui va avec... Un...

le 4 avr. 2013

21 j'aime

17

La Dernière fanfare
Docteur_Jivago
8

La dernière bataille

Alors dans la dernière partie de sa carrière, John Ford livre ce que certains considèrent comme son testament politique, The Last Hurrah. On retrouve typiquement ce qui peut intéresser Ford à ce...

le 28 janv. 2024

10 j'aime

16

La Dernière fanfare
Val_Cancun
6

Plutôt une canaille compétente qu'un imbécile honnête

Moi qui suis généralement friand de films situés dans le monde politique, je n'ai pas été autant séduit que prévu par "The Last Hurrah", œuvre de fin de carrière pour John Ford, qui adapte un roman...

le 26 mai 2022

9 j'aime

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

86 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14