La transition énergétique risque d'être un tour de passe-passe environnemental (Arte jusqu'au 22/01)

Un documentaire bien fait, à voir absolument pour comprendre qu'aucune technologie n'est environnementalement neutre, et que ce que l'on nous présente comme une transition énergétique verte risque d'être en réalité un tour de passe-passe environnemental qui délocalise la pollution "ailleurs".

Les minéraux vont devenir l'or noir du XXIè siècle, mais leur extraction est polluante

Déjà présents en grande quantité dans la technologie fossile, les minéraux et en particulier les métaux rares, vont occuper une place de plus en plus prédominante. Le Néodyme, par exemple, fait tourner le rotor des éoliennes, et fait fonctionner le moteur des voitures électriques. Le cobalt et le lithium sont utilisés dans les batteries. L'extraction de ces minéraux pose des problèmes de pollution majeure. En Chine, cette industrie rejette notamment des eaux usées saturées en métaux toxiques dans la nature, qui contaminent le sol et a fortiori l'eau bue par les habitants vivant à proximité.
Dans le Nord du Chili, on trouve la mine de Chiquicamata, la plus grande mine de cuivre du monde (13% des réserves mondiales), grande de 4 km de diamètre et de 1 km de profondeur. La contamination des sols et des eaux se répand sur une zone de milliers de kilomètres carrés autour de cette mine. Les convois qui transportent le cuivre de la mine au port contaminent les habitants des villes traversées dont l'air est saturé en métaux lourds issus de la dissémination de ces convois. À Antofagasta, l'une de ces villes, le cancer du poumon est la première cause de mortalité.

La transition énergétique est parfois rendue possible par les activités fossiles

Le comble ! En plus de la pollution associée à l'extraction des minéraux nécessaires aux technologies "vertes", ces technologies sont parfois associées en plus à des énergies fossiles qui les rendent possibles.
Un exemple est la mine de cuivre du Chuquicamata qui est alimentée en électricité par une centrale à charbon à proximité. Le charbon rend possible l'extraction de cuivre qui rend possible l'essor des technologies vertes. En prenant le raisonnement dans l'autre sens, la hausse de la demande en technologies vertes va augmenter la demande en cuivre qui, dans le cas du Chili, va se traduire par une consommation accrue de charbon. Les dégâts sanitaires de telles centrales à charbon au Chili sont immenses: à Tocopilla, ville où se situe la centrale à charbon alimentant la mine, une mère témoigne de la mort de son fils de 17 ans d'un cancer du poumon suite à l'exposition chroniques aux particules produites par la centrale. Son frère, de 23 ans, a des nodules au poumon et ne peut rester dans la ville que quelques jours car il y respire très mal. Le Chili dont 40% de l'électricité provient du charbon ne compte pas en sortir prochainement...

Deuxième exemple, plus général: l'usage des véhicules électriques, pour être vraiment positif environnementalement, nécessite une électricité très décarbonée. Dans un monde dans lequel l'électricité est encore très largement fossile, on peut bien se demander si l'impact carbone de ces véhicules sera finalement meilleur, notamment dans des pays comme la Chine dont l'électricité provient encore en majorité du charbon. Un rapport de Jean Syrota, haut fonctionnaire français et ingénieur des Mines, montre d'ailleurs le contraire. Ce rapport n'a pas été diffusé car ses conclusions dérangeait un marché particulièrement juteux et soucieux de conserver son image verte de toute pollution.

Troisième exemple: notre amie irréprochable la Norvège, dont la politique énergétique longtemps vantée comme un modèle, est en réalité complètement schizophrène. Certes, une voiture neuve achetée sur deux y est électrique, mais ce financement n'est rendu possible que par l'exploitation de pétrole dans le nord du pays. La Norvège est le 7è exportateur mondial de pétrole et multiplie les nouveaux permis d'exploration en Arctique: voilà la face cachée de notre amie la Norvège.

Le recyclage : problème majeur et sous-estimé des technologies vertes

Peu de métaux rares sont aujourd'hui recyclables. Sans même parler des métaux rares, les industriels du recyclage de la technologie renouvelable dans ce qu'elle a de moins complexe (pales d'éoliennes par exemple) sont une exception. En Allemagne, d'immenses pales sont abandonnées dans la nature. Le problème du recyclage est naturellement économique : la matière extraite est souvent moins chère que la matière recyclée par un processus complexe.

On comprend donc que derrière le masque amical de la voiture électrique et des éoliennes ou des panneaux solaires, se cache une réalité plus sombre. Est-elle plus sombre qu'un monde 100% fossile ? Difficile à dire. Mais nous devons prendre conscience de cette hypocrisie pour la dépasser et la surmonter.

Par ailleurs, les technologies vertes vont poser deux autres problèmes majeurs, outre celui du transfert de pollution:

L'industrie renouvelable européenne a été massacrée par la concurrence chinoise

1er producteur mondial de métaux rares, fournisseur de la moitié des batteries au lithium dans le monde, la Chine occupe le leadership du marché de la transition énergétique. Et elle ne se gêne pas pour détruire les industries européennes en retard par rapport à elle. Comme le déclare Arnaud Montebourg, les chinois ont tué l'industrie européenne du panneau solaire: les français, les espagnols, les allemands, les italiens ont perdu leur industrie solaire, concurrencée par des panneaux photovoltaïques beaucoup moins chers. Le directeur du solaire français PhotoWatt se plaint de panneaux chinois 20 à 30% moins chers ! En France, nous avions par ailleurs l'une des rares raffineries de Magnésium d'Europe, minéral indispensable pour alléger les véhicules électriques (détenue par Pechiney Métallurgie) en Haute-Garonne, qui a dû fermer à cause de la concurrence chinoise.

La faute à qui ? Aux chinois qui veulent naturellement conquérir des parts de marché de cette industrie florissante ? Ou à l'Union Européenne qui ne s'est protégée d'aucune manière de cette concurrence déloyale pour protéger l'Allemagne qui vend ses automobiles à la Chine ?

D'une manière générale, la transition énergétique va rebattre (un peu) les cartes de la mondialisation et va mettre sur le devant de la scène des pays pauvres qui ont la chance de disposer des minéraux essentiels. C'est le cas de la Bolivie par exemple qui détient 50 à 60% des réserves mondiales de Lithium, indispensable aux batteries.

Dernier problème de taille : les minéraux, comme les ressources fossiles, ne sont pas "renouvelables"

Pour conclure, une simple remarque de bon sens: de même que les stocks de pétrole sont limités, les stocks de minéraux stratégiques et indispensables à la transition amorcée sont également limités. Une étude d'Olivier Vidal et de Gaël Giraud montre que le pic d'extraction du cuivre, métal ô combien omniprésent dans les nouvelles technologies, sera atteint d'ici la fin du siècle. Dès lors, pouvons-nous réellement parler "d'énergie renouvelable", dans la mesure où ces énergies (éoliennes, solaires, véhicule électrique) reposent sur des ressources en quantité limitée ?

Ce qui constitue le moteur de la transition énergétique, ce sont les batteries commerciales et financières, et non un idéal humanitaire soucieux de choisir la meilleure solution pour tous. En fin de compte, il ne faut pas que nous soyons dupes de la promesse énergétique dont l'économie mondiale espère bien tirer le plus de profits : nous devons continuer à orienter, à contraindre cette dernière pour l'orienter vers des technologies qui ont un bilan environnemental vraiment meilleur.