La femme du boulanger possède à de nombreux égards ce qui fait la Grande Comédie, maniant le grotesque et le tragique avec un certain génie sans que le contraste jure outre mesure.
Si le scénario paraît de prime abord assez peu engageant puisqu'elle traite de la recherche par un village entier privé de pain de la jeune et jolie femme du vieux boulanger qui est partie avec le berger du village pour vivre un instant de volupté. La femme du boulanger se positionne donc bien initialement du côté de la farce et de ses maris trompés; le film d'ailleurs dépeint un Raimu naïf et aveugle face à la tromperie manifeste de sa femme que "l'on n'aurait jamais vue à la messe", là où le brave mari pensait que son épouse se trouvait tous les dimanches. Bien entendu, comme dans un petit village, tout se sait, le boulanger ne va pas tarder à être la risée de tous mais bien entendu, jamais on ne lui dira (pas intentionnellement en tous cas)... Le spectateur prend ainsi un grand plaisir à rire des nombreuses scènes comiques du film portées par des acteurs de grand talent jouant leurs rôles à la perfection.

Mais derrière l'habillage grotesque, l'on se rend vite compte que le rire est cathartique parce qu'au fon, on plaint le boulanger et l'on serait tout aussi malheureux dans sa situation. Le film dépeint en effet avec brio (des dires de mon grand-père marseillais qui a vécu cette époque) le parfait petit village provençal avec ses fâcheries séculaires, ses commérages, ses clans, ses manières, son parler, ses vieilles filles en noir, ... Le plus dur au fond c'est que les villageois au fond ne se démènent au départ que par intérêt, pour que le boulanger refasse du pain. De même, quand le pauvre homme se donne en spectacle dans les ruelles, le village entier de suit comme un animal de foire; puis, un des moments clés du film arrive : complètement ivres, une équipe de recherche se met même à chanter à tue -tête un "vive les cooooooooooornes... du boulanger !".

La "Femme du Boulanger" réussit ainsi sans faux-raccord à exploiter les deux facettes du rire cathartique grâce à un Raimu impérial (on se souviendra de la dernière scène avec Pomponette qui prend aux tripes), à la fois naturel et grandiloquent. en regardant ce film, le spectateur ne se retrouve certainement pas devant l'une de ces centaines de farces où les séquences "émotion" sonnent faux et semblent tirées des mêmes recettes; "La Femme du Boulanger" apporte DIRECTEMENT sous le masque comique une profondeur tragique mettant en exergue les vices traditionnels qui existent au sein d'un groupe d'individus, certes globalement sympathiques malgré tout, mais jamais tout blancs.

Je tiens également à saluer Ginette Leclerc pour son habileté à jouer ce personnage ambigu qu'est Aurélie la femme du boulanger, cette femme oscillant entre l'apparente sainteté et la garce cruelle (la scène où elle congédie virulemment le berger pris de remords constitue un grand moment de ce film) . Il faut également féliciter Marcel Pagnol pour sa capacité à capturer l'essence d'une époque et d'un lieu de façon crédible malgré l'utilisation massive d'archétypes.

En définitive, La Femme du Boulanger est un grand film porté par un casting incroyable qui, derrière le masque simpliste et naïf, arrive à conjuguer de délicieux moments comiques avec une profondeur sociologique et tragique sans mauvais raccords et avec brio.
Foulcher
8
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le 8 août 2013

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Foulcher

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