Vendredi 9 juillet 2004. Marie, 23 ans, dépose une plainte au commissariat d'Aubervilliers. Elle affirme avoir été victime dans la matinée d'une agression à caractère antisémite dans le RER D entre Louvres et Sarcelles. Quelques jours plus tard, l'enquête judiciaire permet d'établir que la jeune femme est l'auteur d'une affabulation. Un petit mensonge qui aurait pu passer inaperçu si entre temps hommes politiques et médias ne s'étaient pas enflammés, soulevant une grande vague d'indignation dans le coeur des français.

18 mars 2009. La Fille du RER débarque sur nos écrans. Sous la houlette d'André Téchiné et avec la ravissante Emilie Dequenne dans le rôle-titre, Marie devient Jeanne, une jeune femme vivant en banlieue parisienne avec sa mère Louise. À la recherche d'un emploi sans trop de conviction, Jeanne se laisse porter par la vie comme on glisse sur le bitume avec des rollers. L'impression étrange de la survoler plutôt que de la vivre se fait alors davantage ressentir lorsqu'elle traverse les tunnels, dans un train ou sur des roues. Louise aimerait la faire engager en tant que secrétaire dans un cabinet d'avocats de renom où exerce Samuel Bleistein, un homme qu'elle a connu dans sa jeunesse. l'entretien d'embauche n'est pourtant guère concluant et Jeanne rencontre entre temps Franck, un jeune homme se livrant au traffic de drogue dont elle va s'éprendre au point d'être aveuglée par ses sentiments jusqu'à ce que l'inévitable se produise.

Dense, le scénario n'en est pas moins passionnant et même troublant : Téchiné divise son long métrage en deux parties disctinctes, la première étant consacrée à la généalogie d'un mensonge qui va défrayer la chronique, la seconde à ses conséquences. Un parti pris judicieux qui n'altère en rien le jeu de puissances mis en oeuvre pour rendre l'ensemble aussi puissant qu'intelligent.

Bien que La Fille du RER commence et s'achève sur deux musiques à consonnance théâtrale, les deux parties du film sont filmées de manière très différentes. Dans le chapitre consacré à la genèse de ce fait divers, les lignes fuyantes et les ambiances flottantes forment une esthétique de l'évasif, avec une Emilie Dequenne faisant face à cet univers quasi-onirique. Elle est ce qui se détache, ce qui fait front, ce qui résiste à la longue focale aplatissant le monde jusqu'à le lisser. À l'inverse, dans le second chapitre, son personnage est écrasé par la présence de son environnemment. Un pression se caractérisant au travers de la campagne où une grande partie de l'action va se situer, Jeanne luttant contre les éléments (le vent, la pluie, la rive qu'elle remonte en barque, jusqu'au feu dans la cabane l'effrayant un instant). Un croisement pas si innocent que cela puisqu'on sent que l'esthétique du film, celle du choc et du heurt, épouse la psychologie de Jeanne avec une grâce et une fureur qui laisse pantois.

Là où Téchiné fait preuve d'une capacité étonnante à esquiver l'attendu, c'est en évitant de transformer La Fille du RER en brûlot engagé et politique. Bien sûr le discours est sous-jacent, mais le cinéaste se montre suffisamment humble et éclairé pour ne pas porter de jugements surannés. Le tableau se veut de lui-même suffisamment solaire autant que ténébreux, il était inutile de passer dessus maintes couches de peinture. Tout au plus, il sublime, ce qui est la marque des grands metteurs en scène au mieux de leur forme. Cette approche subtile, même si elle ne permet pas d'éviter les quelques (rares) longueurs, a le mérite de laisser de la place au spectateur pour fonder sa propre pensée. Brillant.

Porté par des seconds rôles bien écrits, la performance magistrale des interprètes hausse le film vers des sommets vertigineux. Si Emilie Dequenne est éblouissante, Catherine Deneuve n'a que peu à lui envier dans ce rôle de mère tiraillée entre son amour de mère et sa conscience de femme. Michel Blanc impose une stature qu'on ne lui avait plus connu depuis fort longtemps et même la famille Bleistein (Mathieu Demy, Ronit Elkabetz) arrive à intéresser autant qu'à intriguer. Ils n'arrivent cependant pas à faire oublier qu'à trop vouloir montrer plutôt que démontrer, Téchiné tombe parfois dans l'esquisse et oublier de boucler certaines boucles qu'on aurait aimé voir tourner rond, particulièrement en ce qui concerne les rôles de Franck, Alex et Judith. Tout cela n'enlève rien à la qualité du long métrage qui demeure une belle réussite.
Kelemvor
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le 20 mai 2012

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