Yokkaichi, ville industrielle en plein essor. Employé d'un grand magasin, Jirô Tezuka fait la rencontre de Harumi dans un restoroute. Il décide de la placer dans un bar de la ville, le "Sawa", dont la patronne, Sawako, n'est autre que la fille du directeur du grand magasin où il travaille. Parallèlement, il fait la connaissance de Masae, veuve de l'ancien directeur des fonderies Oka, dont le père est lui aussi un client du "Sawa"...
Une image marque le film, et pas seulement pour un constat actuel, celle des grandes cheminées d'usines qui crachent leur fumée noire dans le ciel japonais. Yoshida persiste à décrire un Japon en essor économique parallèlement à la décrépitude humaine que cela engendre. Cette fumée noire qui plonge peu à peu le film dans la brume puis les ténèbres, et le seul élément qui parvient réellement à prendre de la hauteur. Cet élément, qui était déjà indissociable des deux films précédents, c'est l'argent. Dans cette société japonaise capitaliste, il constitue l'accessit ultime. Ne pas en avoir c'est rester à l'écart, sur le bas côté d'un monde qui va de plus en plus vite.
Dans bon à rien, les jeunes tentaient de sortir de ce mouvement en sortant de la ville, en allant à la mer, en freinant le rythme frénétique, en regardant l'horizon. Ici pour en sortir, du moins le temps d'un instant, on ne freine pas, ça va déjà trop vite, on essaye alors d'accompagner ce mouvement, voire de le dépasser. Au volant d'une voiture ou sur une moto. Mais c'est voué à l'échec : au mieux on tourne en rond et on reste prisonnier de ce système, au pire on fait une sortie de route fatale.
Jiro est un loup. Il aurait pu être le jeune de bon à rien quelques années après, celui qui erre et s'ennui. Jiro ici est déjà asphyxié par la fumée noire, pourri jusqu'à l'os par le désir d'argent qui l'anime. Il n'est rien et veut être tout. Et il utilise le seul « talent » qu'il possède ou croit posséder, à savoir séduire les filles, pour tenter de gravir les paliers du système.
Pour lui la femme n'est rien qu'un objet lui permettant de parvenir au plus haut, il veut se faire entretenir. Mais il est bête, bouffon, il ne connaît pas les règles de ce système, ne connait pas les femmes et croit maitriser des sentiments qui lui sont complètement étrangers. Le loup se fera manger. Yoshida, dans un plan génial, matérialise cette fausse ascension. Jiro, dans une fête foraine, grimpe sur une grande roue. Il participe ainsi au jeu cruel de la société, ayant l'impression à un moment de toucher les cimes avant de redescendre dans un moment circulaire continue et sans échappatoire.
Comme c'était le cas dans ses deux premiers films, on retrouve donc ici le schéma ascension illusoire suivie d'une chute fatale. Les personnages ont la sensation de s'élever, mais ça dure très peu, et ils finissent par s'écraser lamentablement au sol.
C'est un constat très noir, pessimiste et cynique à chaque fois.
Yoshida poursuit également son approche du couple et de la femme. La femme qui a de plus en plus le pouvoir, et qui semble être la seule capable de s'élever. Mais tout en restant coincée sous le voile brumeux.
Et puis il y a toujours cette récurrence des plans au lit, gros plans sensuels sur les visages des deux amants. Ces plans semblent hors narratifs, comme des bulles. Même si plus tard on s'aperçoit qu'eux aussi sont faussés, malhonnêtes ou trompeurs sur l'instant ce sont de vraies échappées. Comme si Yoshida voyait un semblant d'espoir dans l'intimité la plus étroite du couple.
Teklow13
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le 13 févr. 2012

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