Dans le bonus du DVD, Bertrand Tavernier, fan du film, explique qu'un critique de France Soir à l'époque avait décrit From Hell to Texas comme un western contenant tous les ingrédients traditionnels du genre, sans chercher à les subvertir. Selon notre Tavernier national, un contresens complet. Et d'énumérer chacun des aspects, montrant que Hathaway en prend au contraire le contrepied. Je suis en partie d'accord. En partie seulement.


Pour ce qui est du décor, La fureur des hommes est des plus académiques : paysages grandioses, désertiques, filmés en Scope. De la belle ouvrage malgré tout, avec cette selle notamment qui apparaît à plusieurs reprises comme un marqueur du fugitif. Dans la première scène, Tavernier montre que l'aspect inquiétant de la meute aux trousses de Tod Lohman est exprimé sans un mot par une colline noire surmontée de nuages, qui s'oppose à la rivière et l'arbre, en bas. Classique donc, mais bien fait.


Le thème de la vengeance ensuite. Il est habilement détourné pour donner au film une profondeur qui rappelle Ford. Si le patriarche Boyd (Hunt Boyd, comme ça c'est clair) poursuit ce pauvre Tod, c'est d'une part car il est fou de douleur d'avoir perdu deux fils (le film le montre de manière assez peu convaincante d'ailleurs), d'autre part parce qu'il a le sentiment que Lohman a détruit l'oeuvre d'une vie, celle de laisser une trace dans ce monde. Résultat, même si l'on n'approuve pas la démarche, on éprouve une certaine empathie envers le "chasseur". Et lorsque son dernier fils manque d'y laisser à son tour sa peau, on ne peut que trouver à ce western des airs de tragédie : Boyd en effet n'a pas écouté l'oracle de son pote Carmody qui lui recommandait de renoncer car il avait un sombre pressentiment. On n'est donc pas dans la vengeance bestiale habituelle mais dans quelque chose de plus sensible et profond. Un point pour Tavernier.


Les scènes "incontournables" du genre. Elles y sont : la ruée des chevaux au début du film (magnifique), l'attaque des Indiens (qui évoque la chevauchée fantastique, avec "désattelage" acrobatique des chevaux avant, et un plan à hauteur de sabots qui m'a stupéfié), le face à face dans le saloon (qui ne fera pas oublier Rio Bravo), les communautés étrangères (ici la famille espagnole), le duel final dans le patelin (réussi aussi). Comme pour le décor, nous dirons pour ces invariants du genre : de bonne facture, mais assez attendues.


Le héros invincible. Je coche. On se demande d'ailleurs comment un être aussi pacifiste peut tirer aussi bien, mais passons. On lui tire tout le temps dessus mais sans jamais le toucher, par contre lui il fait mouche tout le temps : la routine. L'originalité de ce héros-là, c'est que c'est un doux agneau, une figure quasi christique, une sorte d'Idiot de Dostoïevsky. Tragédie aussi le concernant car, alors qu'il répugne à ôter la vie, le destin le place sans cesse dans des situations où il est amené à faire ce pour quoi la nature l'a doué. Hathaway tente de réunir en un personnage l'efficacité de John Wayne et l'idéalisme de James Stewart dans L'homme qui tua Liberty Valence. Problème : Don Murray n'a le charisme ni de l'un ni de l'autre. Il fait un peu gringalet ce qui, loin de rendre le personnage intéressant, en fait une sorte de saint parfaitement mièvre. Le pompon est atteint lorsqu'il se cache derrière son lit parce que des femmes entrent dans la pièce ! Ridicule. Pour ne rien arranger, on lui donne quelques répliques fadasses du type, en substance : "en quoi ma vie vaut-elle plus que ces quatre-là ?", évoquant les hommes qu'il a tués. Et une scène assez gnan gnan où il se recueille sur la tombe de son père. On a bien compris que Hathaway entend décrire un être immature, encore sous l'emprise de sa défunte mère, inhibé face aux femmes, mais le résultat n'est pas à la hauteur du projet. Code détourné donc, mais détournement plutôt raté.


Le vieil acolyte qui protège le héros. Le vieux briscard débonnaire revenu de tout, une figure redondante aussi. En général il finit par se faire flinguer. Ici, Leffertfinger, le camelot mal rasé, est plutôt sympathique et il profère l'une des plus belles répliques du film. En substance : "toutes les idées sont intéressantes, en fonction du lieu et du moment... là, tes idées ne sont pas de saison". Tod reprendra la formule lorsqu'il refusera de fuir en arguant que ce ne serait "pas de saison". Bien vu.


Les villageois pleutres. De nombreux westerns opposent le héros sans peur aux villageois qui n'agissent pas, pétrifiés par la peur. Ici, ils sont plutôt hostiles à ce que représente Boyd - une forme d'arrivisme. Personne ne veut travailler pour lui. Plutôt intéressant, ça.


L'histoire d'amour. La fille bravache, rentre-dedans, qui fond dès lors qu'elle tombe amoureuse du héros, j'ai l'impression d'avoir déjà vu pas mal de fois, bien que pas spécifiquement amateur de westerns. Sur ce sujet, Hathaway cumule l'académisme et le ratage car la mignonnette est assez insupportable. La scène du baiser volé au bord de la rivière et celle en haut du mirador en robe rose sont des chefs d'oeuvre de niaiserie, soulignées par les violons - car l'utilisation de la musique est constamment académique. Sans parler du plan final, hélas inévitable, heureusement filmé en plan large, un moindre mal. Un très gros point faible du film.


Dommage, car si l'on met de côté l'eau de rose, Hathaway réussit pas mal de jolies choses. Les scènes avec chevaux nous l'avons dit, mais aussi par exemple celle du duel avec Carmody : la pierre qui se détache oblige le tueur à se découvrir, ce qui signe sa perte. A cette scène, répond celle où Tom en feu "oblige" Tod à se découvrir, mais cette fois pour un résultat heureux puisque son acte signera la fin de sa traque. Bien aimé la scène du cheval qui suit la mort de Carmody aussi, son apparition en fond puis le point d'interrogation qu'il constitue pour Tod. Il y a d'autres subtilités, comme le chariot de Leffertfinger qui apparaît derrière la fenêtre alors que Boyd affirme qu'il ne quittera pas la région avant d'avoir liquidé Tod.


Une impression en demi-teinte donc. Pour un western vraiment détourné, voyez plutôt Meek's Cutoff (La dernière piste en français), de Kelly Reichardt : voilà un western authentiquement pacifiste, une véritable ode à la non violence. On ne peut s'empêcher d'y lire une patte spécifiquement féminine... Et, dans un tout autre style, mystico-déjanté, le saisissant El Topo de Jodorowsky. Voilà ce qu'on peut appeler des westerns détournés.


Quel titre, au fait, pour celui-ci ? La fureur des hommes ? Bien des films ont mieux montré ce que peut être la fureur des hommes. From Texas to Hell ? Non, on ne peut pas dire qu'on ressente la vie de Tod comme devenue un enfer. Man Hunt ? Le titre avait déjà été utilisé par Fritz Lang. C'est pourtant peut-être celui qui aurait le mieux convenu. Une chasse à l'homme plus subtile que sauvage, hélas plombée par une romance à deux balles. De fusil bien sûr.

Jduvi
7
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le 4 avr. 2021

Critique lue 138 fois

Jduvi

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