Faire cohabiter les éclats de rire avec ceux des obus est une idée folle, un défi qui peut sembler présomptueux. Il est en effet plutôt de coutume d’opter pour une tonalité radicale quand il s'agit d'illustrer les horreurs de la Grande Guerre. À savoir celle de la satire assumée, sketchs et grimaces balourdes sous le bras pour une critique menée par le sourire ou bien celle de la gravité, réalisme farouche et corps inertes dans l’escarcelle pour abreuver les cœurs d’une horreur visuelle reflétant l’horrible réalité des combats ainsi que l'anecdotique valeur qu'est le dernier souffle d'un soldat pour son état-major.


Monicelli fait le choix de jongler avec les deux approches en associant la désarticulation des corps à l'intarissable énergie comique du duo Vittorio Gassman / Alberto Sordi. Un choix de casting plus qu’évident tant les deux acteurs ont prouvé à maintes reprises leur capacité très italienne à alterner les prestations dites sérieuses et les pitreries les plus grasses, avec un talent certain dans les deux registres. Leur association fait de La Grande guerre une réussite insolente capable de terrasser le plus dur des cœurs après l'avoir fait rire à gorge déployée.
En conjuguant une direction d'acteurs impeccable, des dialogues riches qui font mouche, un fond thématique inépuisable et une mise en scène ambitieuse, Monicelli atteint presque l'état de grâce.
Il trouve en tout cas un équilibre subtil entre farce critique et violence sourde qui donne à son final une portée si particulière qu’elle vous fait sortir de la séance avec un grand sourire aux lèvres et des larmichettes dans les yeux... c'est un sentiment assez peu commun.


La Grande guerre est l'illustration parfaite de ce qui me plaît tant dans l'âge d'or du cinéma italien. Film décomplexé, ambitieux, très écrit mais, en même temps, interprété sans artifice, il se déguste avec gourmandise. Et parce qu'il fallait bien qu'un regard de biche apporte à toute cette violence un charme à l'italienne de circonstance, Mario Monicelli tisse en seconde intention une histoire d'amour touchante, en un petit quart d'heure d'images, loin d'être accessoire puisqu'elle contribue à son tour à la force des dernières minutes.


Si le film dans sa globalité est particulièrement impressionnant et si l'énergie déployée pour mettre en scène les grandes séquences guerrières force le respect, c'est pourtant dans ses moments de calme que la Grande guerre monte progressivement en puissance. La charge critique paraît s’y adoucir mais il n’en est rien. Monicelli laisse son portrait d’hommes porter son propos, bien convaincu, et à juste titre, qu’il le fera bien mieux que toute démonstration recourant à l’image choc. Le résultat est sans appel tant l’émotion se fait présente à l’écran.
Lorsque les hommes échangent quelques mots avec simplicité alors que la pluie les agresse ; quand ils essayent de composer avec la couardise qui les définit, pour échapper aux successives lignes de front sans trop desservir les copains. Lorsqu'ils jouent les petits escrocs pour gagner trente lires ; ou bien qu'ils usent d'un stratagème retors pour s'assurer la tendresse d'un sourire enchanteur ; ou encore qu'ils se laissent aller au courage un bref instant.
Dans ces moments-là, La grande Guerre fait naître en vous à la fois l'amusement et le frisson, avant de vous porter immédiatement le coup de grâce, sans état d'âme, en terminant de dépouiller consciencieusement l'image des ersatz d'humour qui vous permettaient, jusque-là, de dédramatiser son tragique contexte.

oso
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le 14 nov. 2017

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