The Big Clock, ou comment gripper une belle mécanique

Le film noir est un genre bien à part dans le monde du cinéma et qui revêt une importance toute particulière à mes yeux. En admirateur du genre depuis longtemps, je suis prêt à passer outre de nombreuses choses (incohérence, faiblesse scénaristique...) pour un film qui saura raviver ma flamme originelle en me proposant une belle ambiance sombre et oppressante à souhait, un suspense qui vous prend les tripes, des personnages désabusés prisonniers des événements, des femmes fatales magnifiquement vénales, etc. Vous avez compris, il y a un certain cahier des charges à respecter pour pouvoir offrir, au fan que je suis, son petit shoot de plaisir cinématographique. Malheureusement, avec "The Big Clock" de John Farrow, il n'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent !

C'est pourtant auréolé d'une flatteuse réputation que ce film s'est présenté à moi, une sorte de petite perle noire, oubliée de tous, qui ne demandait qu'à sortir de la pénombre pour briller de nouveau. Seulement "The Big Clock" a bien du mal à développer une véritable ambiance de film noir tant l'humour paraît être ridiculement lourd et le scénario, pourtant à fort potentiel, bien mal exploité.

Pourtant, John Farrow a du métier et sait se servir d'une caméra, comme l'atteste un début de film tonitruant où un plan-séquence virtuose nous fait passer des hauteurs d'une ville ténébreuse à l'intérieur de cette grande horloge au sein de laquelle un homme traqué se terre. Cette entrée en matière somptueuse permet à Farrow d'introduire immédiatement son personnage principal, George Stroud, un homme ordinaire piégé dans une affaire criminelle, et de plonger aussitôt le spectateur au cœur de l'intrigue. Ce début n'est pas sans rappeler les meilleurs Hitchcock, la tension s'installe brusquement et l'avenir du héros est mis en suspens grâce à l'utilisation d'un flash-back qui va nous faire remonter le temps et nous dévoiler le début de l'intrigue. Seulement, ce suspense si brillamment instauré va progressivement décroître pour rapidement ne plus exister, laissant la place à une histoire un peu bancale qui va osciller sans cesse entre drame et comédie.

L'humour dans un film noir peut être salutaire pour alléger certains passages bien trop sombres ou pour marquer l'ironie d'une situation, par contre il devient délétère lorsqu'il s'impose comme le trait principal de l'histoire. Et c'est un peu ce qui va arriver dans ce film ! Si l'histoire reprend certains éléments propres au film noir, l'humour prend progressivement une part de plus en plus importante, au point de finir par occulter les véritables enjeux dramatiques. Farrow utilise parfois avec bonheur cette légèreté en la mettant au service de l'intrigue, comme par exemple lorsque les amis de Stroud érigent un improbable portrait-robot du suspect dans le but de le protéger. Seulement l'humour devient lourd, excessif, avec le personnage de l'artiste excentrique interprétée par une Elsa Lanchester bien trop cabotine, ou encore avec celui de l'antiquaire qui passe son temps à s'évanouir de manière fort théâtrale. Ce sont des personnages secondaires qui reviennent avec insistance dans le récit, et on se demande bien pourquoi ! Farrow, lui en tout cas, détruit peu à peu tout suspense en faisant basculer son film dans le burlesque et le fantaisiste.

À côté de cela, Farrow bâtit son film comme un vrai film noir, il reprend le thème du faux coupable (avec Stroud qui est contraint de réaliser une enquête sur lui-même !), met en place un semblant de triangle amoureux pour pimenter l'affaire avec le personnage de Pauline York qui est la maitresse du big boss, Earl Janoth, et qui va se rapprocher d'un Stroud fraîchement marié. Seulement Farrow n'exploite que partiellement ce personnage, le triangle amoureux tombe vite à l'eau et la rencontre entre Pauline et Stroud n'aborde pratiquement pas le sujet "Janoth" et se contente de se terminer en tournée des bars ! Dommage car il y avait bien mieux à faire pour nourrir la dimension dramatique et faire avancer l'intrigue ! De la même façon, certains passages paraissent peu crédibles, comme lorsque Janoth, maître de son temps et de ses émotions, perd soudainement son sang-froid et commet un crime passionnel. On a quand même du mal à croire que ce puissant mastodonte puisse être aussi facilement ébranlé par une petite phrase, certes provocatrice, lâchée au milieu d'une conversation. Le scénario n'est pas exempt de facilités comme lorsque le comparse de Janoth part nettoyer la scène du crime et va ramasser un banal mouchoir appartenant à la victime (mais pourquoi le ramasse-t-il?), ce fameux mouchoir se retrouvera (par miracle) sur le bureau du coupable, permettant ainsi de le démasquer.

Facilités, incohérences, humour loufoque..."The Big Clock" est bien loin des meilleurs films du genre. Néanmoins celui-ci se laisse regarder grâce à une bien belle réalisation de Farrow et au duel entre Charles Laughton et Ray Milland. On apprécie surtout de voir le grand Charles se glisser dans le costume de ce personnage tout-puissant qui semble être l'esquisse des grands mégalos que l'on trouvera dans les James Bond et consorts.

Tout cela donne à "The Big Clock" l'aspect d'un film noir assez terne, pas désagréable mais loin d'être inoubliable. À noter que ce film connaîtra un remake, "Sens unique" de Roger Donaldson, un film poussif mais qui a le mérite de la sobriété.

Créée

le 12 août 2023

Critique lue 8 fois

Procol Harum

Écrit par

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