"De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves"

La fameuse citation de Jules César est connue de tous surtout depuis qu'elle a servi de prétexte au duo Goscinny/Uderzo pour la réalisation de l'un des meilleurs albums d'Astérix. Et pourtant de bravoure, il en est déjà question en 1935 avec ce film," La Kermesse Héroïque", réalisé par le Belge naturalisé Français, Jacques Feyder, et basé sur le scénario d'un autre Belge, Charles Spaak. Une œuvre conçue par deux enfants du plat pays et qui se voulait avant tout un hommage à la Flandre éternelle. C'est-à-dire celle qui reste liée à notre imaginaire, nourris que nous sommes par la chanson populaire, l'architecture et la peinture Flamande, sans parler de ces délicieuses victuailles et délicieux breuvages qui nous font tant saliver, nous autres Français, alors que nous nous désignons souvent comme le pays de la gastronomie. Bref, c'est tout un art de vivre qui est célébré ici, dans un film qui se veut brillant et léger, une farce héroïco-comique comme cela est précisé en ouverture...

Cependant, ce film fort sympathique a fait grincer quelques dents à sa sortie et on peut facilement comprendre pourquoi. Les Flamands sont représentés comme étant lâches ou collaborant avec l'occupant Espagnol ; ce qui, au lendemain de la Grande Guerre, rappel de mauvais souvenirs. Maintenant, il faudrait être d'une grande mauvaise foi pour voir ce film comme une insulte aux Belges et comme une œuvre collaborationniste. Tout est traité avec tact et légèreté, même les caricatures sont dosées pour ne pas tomber dans le ridicule et les situations cocasses ne tombent pas dans l'outrance ou dans la facilité. Ce qui fait que, après avoir visionné ce film, non seulement on ne sent pas la bravoure des Belges remise en cause mais surtout on apprécie ce ton léger, gentiment irrévérencieux (notamment envers l'ordre religieux, avec un Louis Jouvet délicieusement pervers !). Le revers de la médaille, c'est que le film n'est pas franchement drôle. On sent la réserve du réalisateur à ne pas aller dans les excès et à jouer toujours sur les nuances ; ainsi on s'amuse, on sourit devant la balourdise de ces pauvres hommes ou en écoutant ces dialogues magnifiquement orchestrés, mais à aucun moment on ne va rire franchement. Le film se savoure ainsi, en acceptant cette réalisation qui accuse un peu son âge, et en appréciant la dextérité d'un Feyder qui joue aussi bien sur le registre de la farce que de la reconstitution historique.

C'est bien dans ce domaine que "La Kermesse Héroïque" brille avant tout et se montre d'une élégance rare. La Flandre du XVIIe siècle semble plus vraie que nature, la petite ville de Boom, reconstituée en studio, est d'un réalisme frappant. Feyder et son équipe, avec notamment Lazare Meerson, ont réalisé un travail prodigieux en ressuscitant à l'écran tout un univers propre à l'art Flamand. L'architecture, fidèlement retranscrite, renforce le charme ineffable de cette région idéalisée. Rien ne semble manquer au décor, on retrouve ces rues pavées, cette grande place, ces grandes demeures si caractéristiques et ce cours d'eau qui sillonne nonchalamment le paysage. Les personnages pittoresques, Flamands ou Espagnols, semblent sortir tout droit d'une peinture d'époque. De même, les scènes de liesse, la kermesse, le bal ou le repas, semblent s'inspirer des œuvres des grands maîtres de l'art Flamand : Brueghel, Vermeer, Peter Goetkint...

Esthétiquement ce film est une franche réussite, renforçant admirablement l'impression de douce joie de vivre qui parcourt ce pays, avec ses personnages avenants, amateurs de bonne chère et des plaisirs simples de la vie. En reprenant à son compte l'art Flamand, Feyder réussit l'éloge d'une certaine philosophie de vie, épicurienne en quelque sorte. Et puis, concernant la lâcheté de ces personnages masculins, elle a surtout une valeur universelle, renvoyant à la lâcheté des hommes en général, et notamment des puissants et des dirigeants qui ne se montrent pas toujours dignes de leurs rangs. Feyder fait surtout l'apologie de la femme, garante de la lucidité, du courage et de la diplomatie... d'un sens de l'intelligence en quelque sorte qui fait dire que la paix vaut mieux que la guerre. C'est un peu simple, certes, mais Feyder met tout cela si bien en images qu'on lui pardonne tout. "La Kermesse Héroïque" est surtout un bien bel éloge à l'art Flamand, ce qui, à l'heure du numérique et de la 3D, reste d'une valeur inestimable. Et puis, redécouvrir Françoise Rosay et Louis Jouvet dans des rôles aussi bien tenus ; ça aussi, ça n'a pas de prix !



Créée

le 9 sept. 2023

Critique lue 20 fois

Procol Harum

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