Il n'est sans doute pas si paradoxal que le thème le plus puissant de La La Land soit une chanson purement pop, pour un film qui, en apparence, constitue une ode au jazz.
Déjà dans son film précédent, Chazelle avait réussi ce tour de force de tenir, par la bouche d'un de ses personnages principaux, un discours enfiévré sur la liberté et la folie d'un art que la pratique du-dit professeur contredisait implacablement, par un apprentissage froid, rigoriste et scientifique.
Cela témoigne surement du rapport ambigu que l'auteur du film entretient avec la musique qu'il vénère. Comme s'il avait compris l'esprit du jazz dont il aimait surtout les disques les moins représentatif du genre.


Une pub de Canal+, qui inonde nos écrans depuis quelques temps, pourrait -comme souvent- se révéler moins anecdotique qu'il n'y parait. Les fabricants de la chaine semblent avoir cerné comment proposer la meilleur des média possible à leurs clients: une pincée de football, une dose de séries télé, un zeste de dinosaures, quelques immeubles en feu délicatement revenus, des cartoons découpés à la tranche, de la course-poursuite pétaradante râpée, un joli couché de soleil au four, une ou deux explosions en assaisonnement, et le tour est joué. Sans doute une grande partie des créateurs de notre époque adhèrent-ils plus qu'ils ne le pensent au fond de casserole de cette amusante promotion, en oubliant parfois que, comme en cuisine, c'est ce qui lie les éléments, leur transformation, qui détermine le goût final.
S'il aime le sport, Chazelle fait peut-être partie de ceux qui pensent que pour contruire une grande équipe sportive, il suffit d'aligner les grands noms. C'est en tout cas l'impression que donne son film dont certains moments enchanteurs (ou voulu comme tels) collent assez mal avec la scène qui les précèdent, leurs enchaînements se révélant alors radicalement contraire à leur intention proclamée: du coup un peu trop calculée et artificielle.


Je ne danse pas le Mia


Car, bien sûr, il est beaucoup question d'apparence ici, ce qui est en soit semble parfaitement naturel, tant l'hommage qu'il rend ici concerne des films qui eux-mêmes étaient des bijoux dans la maitrise du simulacre. Mais c'est étonnant, si Chazelle passe son temps à jouer sur la complicité du spectateur pour essayer de l'emporter avec lui, il ne retrouve à presque aucun moment la féérie des modèles qu'il convoque.
Je vais encore faire mon pédant en évoquant une ou deux films anciens, c'est d'ailleurs inévitable: comment faire autrement lorsqu'il s'agit d'un film à ce point référentiel ? Sans revenir sur l'intro de La ronde de Max Ophuls qui explique techniquement en quoi tient la magie du cinéma (fusionnant sublimement la théorie à la pratique), il suffit de revenir sur les fers de lance de la comédie musicale (les films réussis, ce qui n'était pas le cas de tous) pour expliquer que précisément dans leurs moments chorégraphiés inoubliables, une tonne de détails amenaient le sourire aux lèvres des foules enivrées: des personnages secondaires prenaient par exemple le contre-pied subit de leurs convictions affichées jusque là, des éléments concrets articulaient le moment autour de ceux qui les précédaient ou annonçaient ceux qui allait suivre, bref, une petite multitude de petits bonheurs qui inséraient la scène dans l'histoire. Ce que l'on ne retrouve qu'avec peine ici, tant les moments semblent souvent un peu hors contexte, surgissant à l'écran avec les gyrophares ostensibles du grand moment qui commence.
Faut dire que le genre n'en est quand même pas à son coup d'essai. Si vous ne me croyez pas, jetez-vous sur Footlight parade, qui aura bientôt un siècle, et voyez comment certains numéros proclament leur nature intrinsèquement musicaux tout en restant viscéralement chevillés à l'esprit du reste. Quitte à rester dans le redite, osons cette tarte à la crème: la nostalgie n'est plus ce qu'elle était.


L'histoire même manque à mon goût du minimum de la douce folie que devrait comporter l'histoire. Nous voilà malheureusement confrontés à une trame que ne renierait pas un film d'animation DreamWorks (que la fin douce-amer vient à peine contredire), des dilemmes faisant poliment ricaner les plus persifleurs d'entre nous ("mais comment peux-tu gagner des millions en amassant l'amour des foules alors que ton rêve est d'être tenancier de pub ?") sans mentionner (allez si, faisons-le, mais vite alors) une Emma Stone pétillante comme un parpaing abandonné au fond d'une décharge de la banlieue de Tchokourdakh, à la fin d'un hiver particulièrement rigoureux.


Bref. Même en ayant laissé passer le plus de temps possible entre la sortie du film et le jour où je le voyais pour éviter un regard biaisé (tous les voyants étaient au rouge: dans l'ordre une bande-annonce répulsive, un film précédent du réal ayant laissé un goût plutôt amer, et sitôt la sortie un battage médiatique asphyxiant) je n'ai pu totalement échapper à l'idée de m'être jeté dans un traquenard fatal, quelque soit ma façon de l'aborder: l'aimer et rejoindre la cohorte moutonesque ou le rejeter et passer encore pour le vieux con élitiste. D'où un sentiment d'oppression qui ne m'a pas quitté pendant une bonne partie du film. Je veux dire physiquement (bon, cela dit, c'était peut-être quelque chose que je venais de manger). Un certain mal à respirer, que l'altitude que le film ne parvenait pas à prendre n'est pourtant pas parvenu à résoudre. Encore un paradoxe.


Comme souvent, et ce n'est pas si étonnant ici, c'est une des citations même du film qui nous offre son meilleur argument contre lui. Lorsque Keith reproche à Sebastian de ne pouvoir rendre hommage à un art révolutionnaire (le jazz) en étant lui-même à ce point traditionaliste, il définit mieux que quiconque ce qu'est foncièrement La La Land. Je pense bien sûr que Chazelle est trop malin pour ne pas avoir placé cette réplique autrement que comme une astucieuse méta-pirouette définissant son projet.
Il est du coup intriguant qu'il n'ait pas su mieux se sortir du piège qu'ils s'était lui-même tendu.

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le 19 avr. 2017

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guyness

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