Le diable se niche dans les détails.
Le film de Stéphane Brizé est une somme de détails, épars et étirés jusqu’à la rupture (de cohérence narrative, mais aussi celle de la patience de votre serviteur) dans lequel le spectateur, ravi d’avoir l’opportunité de réunir lui-même les fragments qui le constituent, plaque sa propre morale et se félicite de ne pas avoir eu l’impression de s’être fait mener en caddie.


Appendice n°1:
On ne souligne jamais assez les vertus apaisantes de SensCritique.
A peine sorti de la salle, je n’avais qu’une envie: pratiquer une clef de bras sur un couple qui se disait que la séance avait été éprouvante mais qu’une palme d’or ne saurait mentir. Une fois fait, je les aurais enduits de cire chaude et de les aurais vendus à la découpe sur le trottoir avec la mention
"spectateurs dupes et mal informés".
Et puis je me suis souvenu que je pourrai épancher le léger trop-plein d’énervement sur mon site préféré. Ça m’a immédiatement fait un bien fou.


La loi du marché repose sur cette curieuse idée que moins le monteur travaille, plus cela fait vrai.
Les séquences sont presque à chaque fois interminables. La visite d’un mobile-home fait regretter le dernier épisode de "maison à vendre" sur M6. Le cours de danse nous rappelle à quel point le début de carrière de JJ Goldman était aussi pénible que sa fin. Le pot de départ d’une caissière ne nous épargne pas un seul des couplets préparés par ses collègues, dont aucun n’était, semble-t-il, un parolier talentueux.
Certaines séquence font SENS (Thierry a un point de rupture), d’autres font CONTEXTE (les temps sont durs et rien n’épargne notre héros)


La performance de Vincent Lindon est certes en tout point honorable, mais on ne m’ôtera pas de l’idée que de jouer un type lambda face à des situations assez terre-à-terre ne peut en aucun cas constituer le summum de la carrière d’un acteur.


La forme est donc absolument pénible, et le truc, c’est que le fond est pire.
Nous voilà ni plus ni moins que dans une version 21ème siècle des Misérables, l'originalité et le style en moins.


Appendice n°2:
- mon premier tue le mal
- mon second est un homme de lettres
- mon troisième ne rit pas jaune
- mon quatrième n’est pas rapide
Mon tout est un écrivain célèbre du 19ème siècle.


Pour dire à quel point j’ai trouvé ce film pénible, il va me falloir maintenant entrer dans les détails et dévoiler certains points clefs de l’intrigue. N’ayant pas envie de griser toute la fin de mon texte par l'entremise des nouvelles fonctionnalités du site, j’ai préféré vous prévenir ici aimablement.


Le message du film (car c’est un film à MESSAGE !) tient dans la caractérisation des personnes arrêtées par notre Thierry, devenu agent de sécu. Un arabe qui raconte bobards sur bobards, un vieil homme qui vole pour pouvoir manger de la viande, et deux hôtesses de caisse qui n’essaient de détourner les offres de fidélisations destinées à la clientèle que pour pouvoir améliorer leur ordinaire. Personne n’ayant vraiment mauvais fond, tout ceci n’est donc la faute que de la CRISE.


Appendice n°3:
Tentez de créer une formule malicieuse avec le nom de famille du réalisateur, dont vous pourrez vous servir pour agrémenter votre propre critique, ou un de ses paragraphes. Vous avez deux heures.


La loi du marché est un film se situant (pour un film d’auteur) au point le plus opposé de l’idée que je me fais d’une œuvre de cinéma, en élaguant toute idée de montage, de travail sur la photo, de légèreté ou de poésie, Brizé imposant l’idée qu’il se fait d’un manifeste social plongé dans sa conception d'une forme de méta-réel, glacée et aride.


Mais du coup, le moindre écart par rapport à ce principe de recherche du réel se révèle dévastateur.
Lorsqu’il apprend le maniement des caméras de sécurité, Thierry entend de la part de son formateur la phrase clef du film: "le directeur cherche à faire du chiffre d’affaire, alors comme il y a eu peu de départ à la retraite ces derniers temps, il cherche à dégager des caissières."
On pourrait arguer que ce propos n’est que l’idée idiote que se fait le collègue de Thierry, mais il est presque impossible de ne pas penser qu’il s’agit, au fond, de la conviction du réalisateur.


Or cette idée est doublement stupide:
1) tenter de minimiser le vol dans un magasin n’a jamais eu aucun rapport avec le chiffre d’affaire. Cela concerne la démarque. Les retraites, entrent elles dans le registre de la masse salariale. Le vol, dans tous les magasins du monde depuis que le commerce existe, a toujours été le fait de la clientèle et du personnel. Selon l’époque et la nature des produits préposés, le pourcentage peut varier. De ce fait, la surveillance d’une équipe de sécu a toujours concerné aussi bien une population que l’autre.
L’étrange volonté du directeur semble donc ici totalement hors de propos. Ou en tout cas inutile dans le récit, sauf à renforcer artificiellement le message de l’auteur.
2) le dégout final de Thierry ne peut venir que du destin tragique de la première hôtesse confondue. En dehors de cet épisode dramatique un brin extraordinaire (mais qui arrive, on est d’accord), quel regard porter sur la nature du travail de Thierry? Si ce n’est la à penser que la crise agit comme un rouleau compresseur sur les gens et leurs aspirations, comment se dire qu’empêcher un employé de voler son entreprise est immoral ou déloyal ? La nature dérisoire des effets dérobés (des coupons de réductions, des points fidélité) est-elle suffisante à orienter l’ensemble du message du film du réalisateur ?
Avec un tel angle, on peut estimer que presque tous les métiers mal payés et forcément contraignants pourraient être la cible du travail de quelqu’un comme Stéphane Brizé, qui lui a la chance de vivre des fruits de son écriture et de son talent.


Ce ne serait alors rien d’autre que le portrait vicié d’une époque dégradée, mais qui emprunte un chemin bien malhonnête pour parvenir à ses fins.

guyness

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