LA CAMÉRA DE MAMIE

Ce film est formidable. Un jeune homme, auprès de sa grand-mère, utilise une loupe pour prendre un autre point de vue sur les choses qui l’entourent. Ce pitch banal est déjà émouvant en tant que tel, la curiosité de la jeunesse observée avec malice par la sagesse de la vieillesse ! Le film est certes techniquement révolutionnaire, mais est également teinté d’une certaine poésie. Il commence, sobrement, par un insert sur un journal. Cut. Plan moyen sur un enfant à côté d’une mamie. Il tient une loupe et semble observer ce journal pour mieux le déchiffrer. En une seule succession d'images, les spectateurs de l’époque (et d’aujourd’hui !) comprennent que le plan qui précède se trouve chronologiquement avant (ce qui n’était, au début du cinéma, pas une évidence), et qu’il y aura deux points de vue dans ce film. Le point de vue objectif, montrant en plan moyen ce garçon plein de jugeote qui cherche quoi regarder avec son nouvel outil, et le point de vue subjectif, en insert et jouant avec le vignettage pour rogner le cadre et lui donner plastiquement un air de loupe.

Ce qui est très ingénieux dans ce métrage, c’est le rythme rapide du montage et la façon dont les plans subjectifs s’enchaînent avec tendresse. Tout d’abord, le garçon utilise la loupe de façon classique, c’est-à-dire pour agrandir des mots. Une fois qu’il a saisi la capacité grossissante de l’objet, il s’intéresse aux mécanismes de sa montre à gousset. Il a désormais compris qu’une nouvelle façon de voir s’offrait à lui : il pointe du doigt son oiseau, cut, observons l’oiseau en cage depuis la loupe. Il veut observer son chat, alors montrons à quel point l’animal est mignon. L’apothéose de ce système se trouve être lorsque, dans une mise-en-abîme, le caméra-oeil observe en très gros plan l'œil de la grand-mère espiègle bougeant dans tous les sens. Le grossissement est poétique : il isole pour mieux sublimer. L’oeil de cette jolie vieille femme est désormais immortel puisqu’entré dans l’histoire du cinéma. Mais tout jeu a une fin, mamie ne s’amuse plus, on remballe. Fin.

30/07/2023