Quand la politique vient perturber l'équilibre du foyer

La Maison et le Monde est l'un des derniers films de Satyajit Ray. Se sachant malade, il traite pour ce qu'il pense être son dernier film d'un sujet qui lui tient particulièrement à cœur: les dangers du nationalisme, en adaptant le best-seller indien Ghare Baire de Rabindranath Tagore. Le film fait référence au mouvement swadeshi, un mouvement indépendantiste de la fin du XIXe qui luttait contre la présence anglaise en prônant le boycott de tous les produits anglais.

Mais le film est autant un film intimiste qu'un film politique. C'est aussi le portrait subtil d'une femme qui veut s'émanciper mais choisit le mauvais camp.


Mis en scène avec beaucoup de nuances, La Maison et le Monde décrit l'affrontement de deux amis des classes privilégiées tous les deux indépendantistes mais divergeant radicalement sur les moyens à employer pour la lutte. Nikhil (Victor Banerjee vu dans la Route des Indes) est un intellectuel généreux et désintéressé: il pense à la vie des pauvres et considère que le boycott et la destruction des produits anglais leur sera préjudiciable, en particulier pour les marchands musulmans.

Sandip, partisan d'un boycott absolu, est un orateur et un dirigeant politique pour qui la fin justifie les moyens. Quand ses discours démagogiques ne suffisent plus il ne recule pas devant la corruption ou la violence. Sandip n'hésite pas une seconde à séduire Bimala la femme de son ami dans le but de lui soutirer de l'argent pour soutenir la cause. Nikhil a eu en effet la mauvaise idée d'accueillir Sandip chez lui afin de sortir son épouse de son isolement de femme riche et lui faire découvrir le monde dans sa complexité. La situation avait déjà été exploitée mais en sens inverse par Satyajit Ray dans un de ses films précédents. Dans "Charulata" le mari politicien voulait encourager son épouse dans son amour pour la poésie en accueillant un poète. Dans les deux cas cette idée généreuse mais un brin naïve se retourne contre le mari et l'épouse finit par tomber amoureuse de l'invité.


Une des subtilités de Satyajit Ray est de faire interpréter le méchant Sandip par son acteur fétiche de "la trilogie d'Apu" Soumitra Chatterjee et de se servir de son pouvoir de séduction pour représenter la menace nationaliste. Bimala ne pourra résister longtemps au beaux yeux de Sandip, à ses chansons douces et à ses flatteries. Le feu du générique annonçait la catastrophe finale prédite par Nikhil. Aux bandes d'Hindous fanatisés brûlant les produits anglais et hurlant «Gloire à la mère patrie!» répondent les «Allah akhbar!» de la vengeance et du terrorisme islamiste.


En voulant faire venir le monde au cœur du foyer, semble dire Satyajit Ray, on y apporte la violence et le chaos. Dans ce film testament, Ray nous fait partager ses inquiétudes sur certains dangers de la politique et parvient à dépasser le contexte de l'Inde pour en faire un sujet universel.



Zolo31
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le 17 août 2022

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