La meute
5.5
La meute

Film de Marco Risi (1994)

Ce film méconnu est un petit travail assez intéressant puisqu'il embrasse pleinement son rôle d'expérience sociologique amorale, se contentant de suivre le déroulement d'une situation amorcée par différents protagonistes et qui peu à peu dégénère. Dans la lignée des grands Dogville et autres Chiens de paille (il y aura aussi dans celui ci une séquence canine de traque pour marquer implicitement la filiation), la meute a l'ambition de suivre ses personnages et de ne rien céder à sa terrible mécanique. Le film n'est pas exempt de défauts (il a tendance à exagérer un peu les réactions et les accélérer), mais son élan fonctionne, et surtout la dynamique du groupe qu'il se met à suivre. Par son impartialité et sa collecte détaillées des réactions des personnages, le film donne suffisamment d'éléments sociaux (cadre économique, réputation, instinct de domination, de virilité...) pour donner davantage de matière que le sordide des faits (le générique est à cette image, des messages radios qui s'insultent les uns les autres entre différentes régions italiennes, soulignant déjà les fractures sociales de territoire).


Le principal bon point du film qui assure du sérieux de ses ambitions, c'est sa gestion de la violence. Il pourrait rivaliser avec The girl next door ou les torture porn les plus costauds de notre décennie, mais il ne montre jamais la violence. A chaque fois, celle ci se déroule hors champ, derrière une porte, dans la pièce à côté... (une seule scène de viol se déroulera à côté de la caméra, et cette dernière s'attarde sur la main de sa victime pour une scène vraiment efficace question intimisme et sentiments) Le film ne la montrera presque jamais, mais il en montre les impacts. Il agit comme Prisoners à ce niveau, et reste constamment dans la maîtrise de ce qu'il montre, évacuant totalement la complaisance relative à la violence pour n'en garder que les conséquences les plus frappantes. Il suit à la fois les réactions du groupe de violeurs (logiques dans leur progression, conscients des risques croissants, avides sans être aveugles) et le calvaire des victimes, ainsi que leurs tentatives de plus en plus désespérées. On suit surtout celle qui parle italien, et qui tente d'influencer le protagoniste de ce film pour lui faire prendre sa défense. La dynamique du groupe est logique dans l'exploitation des auto-stoppeuses que personne ne va rechercher jusqu'au moment où on décide ce qu'on doit faire d'elles. A ce moment là, il y a un basculement dans quelque chose de pire, qui rejoint Dogville d'une façon très abrupte (je vais développer avec mon analyse du protagoniste qui initie ce changement), et là encore, le fonctionnement est impeccable. On regrette cependant que le film s'interrompe d'une façon aussi brutale, alors que le mécanisme n'est pas encore complètement achevé (que vont faire les complices, comment notre protagoniste va gérer son incarcération et que va-t-il avouer ?...). Cela laisse un sentiment d'inachevé, et donc d'une petite inutilité du film, simple drame glauque qui ne va pas tout au bout...


Le protagoniste maintenant. C'est lui que nous suivrons tout au long du film, et le seul dont nous pénètrerons l'esprit, via quelques séquences fantasmagoriques très symboliques représentant les dilemmes moraux auxquels il est confronté. Notre personnage est beau, plutôt suiveur que meneur. C'est capital pour l'identification car on se rapproche alors facilement de lui (il est plutôt lisse question caractérisation), essentiellement par les pressions paternelles qu'il subit. Ses amis le convient donc à une soirée privée au cours de laquelle ils disent avoir récupérer deux allemandes auto-stoppeuses consentantes pour passer la nuit. Appétit donc, puis on constate que le consentement n'est pas certain. Une vierge qui ne parle pas la langue, et son amie, un peu plus vieille, qui accepte de se "sacrifier" pour épargner la dégradation à son amie. Notre personnage est donc pris entre ses aspirations morales (il veut devenir carabinier, un policier d'élite donc) et ses anciens amis. Qui pourraient devenir une menace réelle pour lui aussi. Il joue donc leur jeu en tentant de très timides interventions pour tenter maladroitement de limiter la casse. Cela donne une scène magnifique où alors que la consentante se fait à nouveau violer, notre personnage lui caresse la main sans pouvoir soutenir son regard. Sans tergiverser, le personnage est constamment pris dans ce dilemme, et le jugement de l'allemande "eux sont pires que des bêtes, et toi tu es une larve" sonne comme une condamnation qui doit être la cause essentielle du rebondissement à la mi film. Notre protagoniste balance une idée tellement vicieuse pour les deux auto-stoppeuses qu'on en tombe un peu à la renverse. L'idée est si dégueulasse qu'elle est vite suivie par le groupe (puisqu'elle lui profite), tout en écartant notre jules des soupçons de moralité qui pesaient sur lui (une logique de surenchère pour se mettre à l'abri des suspicions de la Meute).


Toutefois, le film gère impeccablement les deux parties, et les agissements de son personnage sont logiques et bien mis en scène. Le travail d'acteur est à ce titre louable, chacun est parfait dans son rôle. C'est aussi le fait que les principaux personnages sont suffisamment bien caractérisés pour qu'on juge du sérieux du script de ce film. Drame cruel et tendu, c'est un investissement à faire pour le cinéphile amateur de portraits psychologiques et d'étude des mécanismes de violence. La jaquette du dvd joue le racolage de la surenchère de violence, ne vous y laissez pas prendre (comme moi), ce n'est pas ce qui intéresse le film.

Voracinéphile
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le 20 nov. 2015

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