Il est choquant de voir que le temps, finalement, ne ménage personne. Pas même les plus grandes icônes.


Pour la première fois à l'écran, Clint en est la victime. Car on est immédiatement pris de compassion, lors de certains plans, devant la faiblesse physique mise en scène, ces mains tavelées et arthrosées, ces expressions de vieux monsieur décrépit, l'air hébété, parfois, de Earl, véritable anachronie au coeur d'un récit sur fond de modernité, de prise de pouvoir de la nouvelle génération, chassant la précédente, le temps de quelques scènes, à coups de pied.


Et même s'il envisageait déjà sa propre mort dès 2002 (dans Créance de Sang), ainsi que celle de la figure de héros qui n'a longtemps appartenu qu'à lui, on est surpris de se prendre à considérer, et ce pour la première fois, le caractère inéluctable de la disparition de Clint : l'homme.


Alors même que finalement, et de manière paradoxale, La Mule, dans le paysage Eastwoodien, est un film qui, peut être, n'aura jamais semblé aussi traversé d'une certaine vitalité, d'une certaine urgence à profiter du moment présent de peur qu'il ne soit le dernier. Loin de l'aspect morbide de ce qui pouvait être attendu comme un dernier voyage sans retour.


C'est ainsi que les sourires s'enchainent, que les pointes d'humour affleurent. Et que Clint détourne et moque avec une malice contagieuse l'image de vieux con de facho cocardier que ses détracteurs les plus fervents n'ont de cesse de lui coller sur le dos ces dernières années. L'amusement transpire. La frivolité et le fuck érigé en art de vivre aussi. Même si le déroulement de La Mule se teinte peu à peu tant d'une sensation de menace que d'une drôle de volonté d'inventaire, au cours duquel le personnage semble se confondre avec l'homme.


La participation de la fille du réalisateur à l'entreprise prolonge cette impression, faisant de l'oeuvre tant une sorte de digest de l'artiste qu'une véritable lettre d'excuse, une demande de pardon adressée à l'ensemble de sa famille ainsi qu'aux femmes de sa vie.


Et la tendresse initiale de se mêler d'admiration, de compassion et de mélancolie tout aussi puissante que poétique, quand elle ceinture l'horizon des grands axes autoroutiers que Clint emprunte. Entrant de plein fouet en collision avec un monde qu'il ne comprend plus.


Véritable fossile d'une époque révolue, Clint se met en scène en représentant son corps de manière aride, sans détour, comme si le naufrage était entamé depuis longtemps déjà. Sauf qu'il ne lâche pas le volant. Au contraire. Entre deux embardées, entre deux sourires et les larmes qui, parfois, pourront monter pour chauffer quelque peu des joues rougies, Clint nous gratifie d'une véritable confession qui, si elle ne se hisse pas aux côtés de Gran Torino ou de Million Dollar Baby, propose d'être le témoin des derniers éclats d'un crépuscule qui, peut être, n'aura jamais été aussi classieux.


Behind_the_Mask, qui se demande où a bien pu passer Sancho Panza.

Behind_the_Mask
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Une année au cinéma : 2019 et Les meilleurs films de 2019

Créée

le 23 janv. 2019

Critique lue 10.1K fois

123 j'aime

18 commentaires

Behind_the_Mask

Écrit par

Critique lue 10.1K fois

123
18

D'autres avis sur La Mule

La Mule
Sergent_Pepper
6

Aging mule

Alors qu’il n’avait plus joué devant sa propre caméra depuis 10 ans (Gran Torino), laissant la place à d’autres personnage en phase avec sa représentation bien trempée du héros à l’américaine, Clint...

le 24 janv. 2019

100 j'aime

4

La Mule
oso
5

Le prix du temps

J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...

Par

le 26 janv. 2019

81 j'aime

4

La Mule
-Marc-
9

Sérénitude

Qu’as-tu fait, ô toi que voilà Pleurant sans cesse, Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ? Paul Verlaine, Sagesse (1881) Earl fait faillite. Tous ses biens sont saisis. Il ne peut se...

le 3 févr. 2019

50 j'aime

Du même critique

Avengers: Infinity War
Behind_the_Mask
10

On s'était dit rendez vous dans dix ans...

Le succès tient à peu de choses, parfois. C'était il y a dix ans. Un réalisateur et un acteur charismatique, dont les traits ont servi de support dans les pages Marvel en version Ultimates. Un éclat...

le 25 avr. 2018

204 j'aime

54

Star Wars - Les Derniers Jedi
Behind_the_Mask
7

Mauvaise foi nocturne

˗ Dis Luke ! ˗ ... ˗ Hé ! Luke... ˗ ... ˗ Dis Luke, c'est quoi la Force ? ˗ TA GUEULE ! Laisse-moi tranquille ! ˗ Mais... Mais... Luke, je suis ton padawan ? ˗ Pfff... La Force. Vous commencez à tous...

le 13 déc. 2017

189 j'aime

37

Logan
Behind_the_Mask
8

Le vieil homme et l'enfant

Le corps ne suit plus. Il est haletant, en souffrance, cassé. Il reste parfois assommé, fourbu, sous les coups de ses adversaires. Chaque geste lui coûte et semble de plus en plus lourd. Ses plaies,...

le 2 mars 2017

182 j'aime

23