Genèse de la Méthode Montessori : une histoire humaine

Après deux documentaires, Léa Todorov nous offre ici son premier long-métrage, une œuvre puissance, émouvante et aussi très personnelle, relative à l'éducation d'enfants "neuro-atypiques" au début du 20 ème siècle en Italie, dénommés alors des idiots ou déficients.

Cette histoire est celle de Maria Montessori, cette pédagogue italienne, qui a inventé dans ces années là une méthode éducative particulière pour révéler l'intelligence de ces enfants et qui sera étendue ultérieurement à tous, la fameuse Méthode Montessori dont l'efficacité démontrée s'est généralisée dans le monde, méthode d'apprentissage encore utilisée aujourd'hui.

On peut dire qu'il s'agit donc d'un biopic partiel de Maria Montessori, limité aux débuts de ses activités de médecin, au tout début des années 1900, dans un monde encore fortement imprégné de patriarcat avec des hommes voyant d'un très mauvais œil l'émancipation des femmes par leur activité professionnelle; ainsi ce film est-il animé d'une composante féministe (scientifique en l'occurrence car il apparaît à cette époque qu'une telle femme ne puisse se comporter que comme un homme, sans les avantages et le respect qui vont avec). Cet aspect n'est cependant le sujet central de cette fiction.

Pour être le plus près possible de la réalité historique, et des vrais discours scientifiques de Maria, la réalisatrice s'inspire de 3 biographies, mais aussi d'un journal écrit par Maria elle-même en 1913.

L'originalité et la force du film s'appuient sur plusieurs facettes qui se combinent avec justesse, dans un scénario passionnant et parfaitement mis en scène, avec décors et costumes d'époque soignés, qui crédibilisent l'histoire :

- C'est avant tout la rencontre à Rome entre deux femmes très différentes, mais chacune préoccupée par son enfant; Maria Montessori, l'une des toutes premières femmes médecin en Italie (portée par Jasmine Trinca, qui épouse parfaitement le rôle de cette femme scientifique dure et autoritaire) et Lili d'Alengy, cette cocotte parisienne, courtisane demi-mondaine (interprétée brillamment par une Leïla Bekhti, sublimée par ce rôle; elle ne manque pas d'aplomb et de pouvoir vis-vis des hommes qu'elle extorque avec ses services, mais aussi d'une tendresse maternelle que l'on lui découvre au fil du film). Lili a une fille déficiente, dont la présence est incompatible avec son activité parisienne. Elle s'exile à Rome pour la confier à l'institution où travaille Maria Montessori, s'occupant de ces enfants anormaux; Maria a un fils, né hors mariage et qu'elle est obligée de confier, par volonté de ses parents inflexibles, à une famille de paysans, ce dont elle souffre beaucoup. La réalisatrice montre avec sensibilité et intelligence comment Lily et Maria s'entraident : Lily apprend à Maria comment se comporter dans un monde d'hommes, l'aidant ainsi à devenir cette Nouvelle Femme des années 1900, émancipée par leur activité professionnelle; Lily apporte une composante artistique à l'éducation des élèves de Maria; cette dernière fait découvrir à Lily l'intelligence de sa fille et l'amour qu'elle doit lui porter pour la faire progresser;

- La deuxième facette importante est de faire appel à de vrais enfants neuro-atypiques, tous parfaitement dirigés et émouvants dans leur rôle, pour montrer comment les exercices variés de cette nouvelle méthode éducative contribuent à leur développement, notamment avec l'attention et l'amour qu'on leur porte; après avoir fortement hésité, c'est vite devenu une évidence pour la réalisatrice, qui y a fait même participer sa fille, atteinte hélas de syndromes similaires; la participation de ces enfants donne une vérité et une beauté émotionnelle très forte au film;

- La troisième composante est la relation homme-femme compliquée et édifiante entre Maria et son compagnon Giuseppe Montesano (Raffaele Esposito), patron de l'institut où travaille Maria, et qui ne lui verse aucun salaire ! Giuseppe veut que Maria l'épouse, ce qui faciliterait le reconnaissance de leur fils, mais Maria hésite car cela lui ferait perdre son indépendance; je n'en dit pas plus sur cette relation et son évolution stupéfiante pour ne pas spoiler le film et préserver l'intérêt du futur spectateur à voir cette belle histoire.

Il est intéressant de mentionner la participation de la mère de la réalisatrice, Nancy Huston, dans le rôle de Betsy, cette mécène qui va donner à Maria une formidable opportunité unique pour le développement de sa carrière et la valorisation de sa méthode.

En synthèse disons que la fiction de Léa Todorov, La Nouvelle Femme, est un film aussi intime que politique et d'émancipation féminine. Il questionne notamment la maternité, le genre, l'enfance, le handicap, et les relations homme-femme au début du 20ème siècle !

La réalisation a sûrement des défauts, mais j'y suis aveugle, tellement il m'a ému par sa profondeur humaine, et je conseille vivement de le voir, ne serait-ce que pour en savoir plus sur la Genèse de la Méthode Montessori ! Un des éléments clé dévoilé par Maria : "j'eus l'intuition que le problème de ces déficients était moins d'ordre médical que pédagogique" !

Sûrement un des meilleurs films de 2024, 8 Cœur !

Créée

le 20 mars 2024

Critique lue 580 fois

14 j'aime

10 commentaires

Azur-Uno

Écrit par

Critique lue 580 fois

14
10

D'autres avis sur La Nouvelle femme

La Nouvelle femme
Cinephile-doux
7

La pédagogue et la cocotte

Vous aimez la sublime Jasmine Trinca ? Vous avez bon goût et en plus vous ne l'avez sans doute jamais vue aussi remarquable et émouvante que dans La nouvelle femme de Léa Todorov. Un premier...

le 7 oct. 2023

9 j'aime

La Nouvelle femme
Andrevdimitri
10

Magnifique

Franchement bouleversé par ce film qui n’entre jamais dans le pathos et traite avec une délicatesse et une pudeur inouïe le sujet du handicap. Les petits protagonistes sont magnifiés et le spectateur...

le 22 janv. 2024

7 j'aime

La Nouvelle femme
Vanite
8

Critique de La Nouvelle femme par Vanite

A voir, vraiment. Film d’époque pour deux sujets encore d’actualité ; bluffant pour un premier film, tout en sensibilité. Une fiction, très bien documentée. Deux femmes, a priori totalement opposées,...

le 29 janv. 2024

6 j'aime

Du même critique

Pas de vagues
Azur-Uno
7

La société aux trousses

Professeur de lettres, acteur et réalisateur, Teddy Lussi-Modeste nous offre avec ce film son troisième long-métrage, issu d'une fait réel qui lui est arrivé en 2020 : alors qu'il enseignait en...

le 31 mars 2024

20 j'aime

12

Boléro
Azur-Uno
7

Jamais 15' sans que ne soit joué le Boléro de Ravel dans le monde

Cette phrase, que l'on découvre dans le générique de fin, montre l'ambition que Anne Fontaine s'est fixée dans ce film, à savoir exposer la genèse particulièrement difficile de cette œuvre majeure,...

le 9 mars 2024

19 j'aime

15

La Tresse
Azur-Uno
10

(Dé)tresses et Espérances

Actrice, écrivaine et réalisatrice, Laetitia Colombani nous offre ici, avec grand bonheur, l'adaptation cinématographique, semble-t-il très fidèle, de son premier roman aux plus de 5 millions de...

le 8 déc. 2023

17 j'aime

9