1958, Dalida est sur toutes les ondes avec sa complainte Histoire d'un amour que reprennent en cœur trois sœurs dans leur villa plantée dans les hauteurs de la splendide montagne libanaise. Le décor cossu abrite leur famille, un protype de la bonne société chrétienne qui manœuvre dans un monde qui bascule : les agitations politiques du pays, entre chrétiens, musulmans et druzes, annoncent le déchirement d’un pays considéré, avec sa richesse et son art de vivre, comme la Suisse du Moyen-Orient, et le bouleversement d’un ordre social aux tonalités traditionnelles.

Dans le film La Nuit du verre d’eau, réalisé par Carlos Chahine, c’est Layla, femme séduisante, mère et épouse parfaite, qui porte toute l’intrigue. Malgré le cadre privilégié dans lequel elle évolue, en dépit d’un mari qui semble lui vouer un amour, certes bien maladroit, mais véritable, la jeune femme ne parvient pas à se satisfaire de sa vie dont la monotonie contraste avec l’appétit de vivre de sa plus jeune sœur. Celle-ci refuse les projets matrimoniaux orchestrés par ses parents, aspire à aller étudier et vivre pleinement à Beyrouth. Alors, profitant de la villégiature d’un médecin français et de sa mère dans le village, au bénéfice d’une amitié de circonstance, Layla se jette dans une passion avec René jusqu’au point de prendre la tangente, pile le jour des fiançailles de sa sœur, plantant là son fils, son mari et toute sa parentèle.

Le problème, au cinéma, avec les histoires d’amour qui fleurissent dans le drame de l’adultère, c’est que tous les points de vue des spectateurs sont convoqués. La critique générale postule que la raison profonde de la toquade de Layla est le refus du contrôle patriarcale de son destin et son émancipation quel que soit le prix à en faire payer à son entourage. C’est Hélène, mère de René le médecin et amant, rôle joué par la douce Nathalie Baye, qui donne une réponse libertaire, un dédouanement, à ce dilemme. La bagatelle, le bon plaisir, avant toute autre considération. Fi de Charles, petit garçon de sept ans, en adoration pour sa mère, Layla, qui saisit immédiatement ses avancées dans l’infidélité. Le verre d’eau, c’est le prétexte futile, la requête d’un enfant pour tenter d’inverser le destin et de conserver sa mère auprès de lui et de son père. Mais il comprend que c’est peine perdue et tourne le dos à sa mère qu’il sent, qu’il sait déjà partie.

Le décor, les costumes, les jeux sont très justes. La photographie, le cadrage et la lumière mettent idéalement en valeur autant chaque scène que les somptueux paysages de la vallée de la Qadisha. Tout concourt pourtant à braquer l’attention sur le, les malaises : conjugaux, parentaux, fraternels, sociaux et politiques. Carlos Chahine propose une histoire mais laisse le spectateur libre de leur interprétation et de leur sanction.

GuillemetteC
6
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le 19 juin 2023

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GuillemetteC

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