Pour honorer une promesse faite à Sainte Barbara, Zé, simple paysan de Bahia, porte une lourde croix de bois jusqu'à l'autel d'une église consacrée à la sainte. Mais le curé lui interdit l'entrée du lieu sacré au prétexte que cette promesse aurait été fait lors d'un "Candomblé" cérémonie païenne. Le curé accuse l'homme d'être diabolique mais Zé ne cède pas et tenant à respecter sa promesse, il campe devant l'église espérant la clémence du prêtre. La presse s'en mêle et l'homme devient à son insu une attraction locale dont tous chercheront à tirer profit.

Depuis deux décennies il est assez fréquent que les Palmes d'or cannoises divisent et même scandalisent, on se souvient fort bien des huées contre Sous le soleil de Satan et de l'historique (et salutaire) coup de gueule de Pialat ou des polémiques interminables sur le Net concernant Oncle Boonmee... Cette année ne fait pas exception avec The tree of life qui divise plus que jamais et déchire même les plus grands fans de Terrence Malick.

En 1962, il est pourtant peu probable à priori que le film d'Anselmo Duarte, La parole donnée, de premier abord très œcuménique, léché et consensuel La parole donnée n'ait provoqué de tels remous. À tel point même que ce film est pratiquement totalement tombé dans l'oubli et que seule l'édition de ce DVD par les Films sans frontières permet aujourd'hui de le redécouvrir.

Et pourtant, même si le trait est parfois un peu appuyé et si le métrage a pris un méchant coup de vieux, il n'est pas si lisse dans son propos, en tous cas dans le contexte du début des années 60 au Brésil comme ailleurs.

Si la jaquette du DVD donne une certaine impression d'image d'Epinal, le film est dans son ensemble plus anticlérical et aurait bien pu faire quelques vagues à l'époque s'il n'était pas aussi évidemment mystique. A ce titre, l'affiche originale (sublime) de Belinsky est beaucoup plus fidèle à l'esprit d'un film qui se voudrait plus âpre qu'il n'en a l'air.

Anselmo Duarte adapte avec La Parole Donnée, la pièce de théâtre O Pagador de Promessas, du poète et écrivain Brésilien Dias Gomes, et c'est sans doute là que le film trouve sa plus grande faiblesse, malgré une tentative louable d'élargir le cadre et de proposer des plans très soignés, tout cela sent malheureusement souvent le théâtre filmé, tant par son unité de lieu que par le simplisme et le didactisme de son scénario.

Il eut sans doute été judicieux de montrer le pauvre Zé dans sa ferme, priant pour sauver son âne, donnant la moitié de ses biens aux pauvres, puis sur son chemin de croix pour arriver à la ville, plutôt que de faire systématiquement raconter ses épreuves par l'un ou l'autre des personnages, ce qui donne chaque fois une forte impression de fausseté dans la tonalité du film.

Il y a également cette étrange utilisation et transformation du mythe christique...
tous les personnages semblent bien là: Jésus, Marie, le Samaritain et le Grand Prêtre, Marie-Madeleine (la putain), Judas (Maquereau et indic de police), les marchands du Temple et même les évangélistes transposant l’histoire (le poète, les journalistes) et tout cela semble vouloir mener cette simple histoire d'homme vers une "révolution humaniste" et un calvaire christique.

Seulement, ici, les rapports des personnages bibliques et leur assimilation aux personnages de ce drame sont tellement modifiés qu'ils en deviennent confus et que tout s'embrouille pour le spectateur qui chercherait un éclairage biblique à l'affaire.

Le film trouve alors souvent sa lumière dans des choses plus modestes et qui auraient mérité d'être davantage mises en avant.
Par exemple sur l'idée de fidélité ou de trahison, tant à la promesse faite à la sainte qu'à celle du mariage.
Le personnage de la femme de Zé est - à ce titre - très intéressant, ambigu et complexe mais se trouve vite relégué au second plan, le film privilégiant une approche socio-politique nettement plus lourdingue et pêche par ambition là où il aurait sans doute pu emporter la mise en resserrant son propos avec modestie plutôt que de courir tant de lièvres à la fois et de finalement noyer son sujet dans un grand n'importe quoi théologique, social et politique bien maladroit.

Duarte privilégie en effet une réflexion (qui aurait pu être passionnante) sur le colonialisme, la traite des nègres, les traditions "païennes" incompatibles avec le dogmatisme catholique, la ségrégation raciale au Brésil, etc...
Mais tous ces sujets essentiels - s'il sont bel et bien présents dans le film - ne sont jamais vraiment étayés, car, dans le fond, on sent bien que l'ambition de Duarte dépasse largement ces capacités de cinéaste et qu'il n'a ni l'audace d'un Buñuel, ni la puissance d'un Rossellini, auquels on a souvent - à tort - assimilé le film.
Le cinéaste peine souvent à imposer un point de vue clair et sans concession au profit d'une œuvre faussement scandaleuse mais pas trop, afin de ne heurter personne. Ni les noirs, ni les flics, ni les chrétiens, ni l'état, ni l'Eglise catholique...
Il montre pourtant bel et bien les manipulations des médias, la corruption de la police, les rapports troubles entre la presse et l'église, la ségrégation raciale, l’oppression des cultes, etc...
Mais chaque fois une image ou un mot font retomber le film dans le consensus et ce que l'on appellerait aujourd'hui le "politiquement correct"

Le cinéaste soigne certes sa copie en offrant une mise en scène léchée et académique mais à contre courant du Cinéma Novo brésilien de l'époque et qu'il n'a ni les audaces formelles et l’énergie provocatrice de Buñuel, ni la force politique et émotionnelle de Rossellini.
Il arrive de toutes façons avec un train de retard par rapport à son époque et aux cinéastes qui l'ont déjà marquée de leur empreinte... surtout si l'on évoque des films comme Rome ville ouverte (1945), Allemagne année zéro (1948) ou Los Olvidados (1950) et Nazarin (1958)

Loin de pousser plus avant ses réflexions sur le couple, l'église, le pouvoir, les médias, le peuple, le commerce, l'art, la poésie, etc... Le film reste au final plus convenu qu'il ne voudrait le faire croire et il finit hélas par n'être qu'un objet rhétorique assez simpliste, didactique et creux...
Une bête à concours, en somme, d'ailleurs conçue spécialement pour le festival de Cannes et qui sera nommée aux Oscars dans la catégorie Meilleur film étranger. Ce qui explique sans doute qu'il n'ait pas marqué les esprits et soit aujourd'hui tombé dans l'oubli. Trop formaté...
Foxart
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le 11 août 2014

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