L’expression « se faire carotter » provient de l’image de l’âne en train de tirer une charrette tandis que son maitre laisse pendre une carotte devant son museau, lui donnant ainsi l’espoir d’atteindre cette carotte, sans jamais l’obtenir.

En 2020, l'étudiant que j'étais avait réalisé un premier mémoire nommé : l'Approche socio-sémiotique de l’érotisation culinaire auprès des individus. Loin de moi l'idée de vous dévoiler la centaine de pages qui l'arborait en sa totalité. Je ne souhaite ni vous endormir ni me faire somnoler moi-même. Cependant, à la suite de ma séance, je me suis replongé dans mes écrits parce que l'intention du film, selon moi, n'était pas respectée.

Commençons par le commencement; voici comment, en construisant à l'aide de définitions de sens commun, communes et scientifiques, à l'aide d'acteurs du milieu érotique (oui) et d'acteurs du milieu scientifique, du mondain au commun, j'avais défini l'érotisme :

L’érotisme est donc ce qui se rapporte à une idée implicite du plaisir subjectif, en suggérant à celui qui y est destiné, un désir voire un fantasme. La conception d’un désir ou d’un fantasme se réalise lors du processus de socialisation qui forme l’habitus de l’individu concerné.

L'important ici, et ce que je souhaite développer, est une idée implicite, c'est en cela, parmi d'autres choses, que l'érotisme se différencie de la pornographie. La première erreur, très grossière que promeut le film c'est précisément cela : briser l'érotisme de ce que l'image raconte avec les dialogues des personnages. La plupart des dialogues du film ne font que décrire, très explicitement, peu naturellement la préparation des mets. En effet, c'est comme si, à table, la beauté du plat, les expressions sur les faciès venaient à être cassées par une personne (ou plusieurs) qui expliciteraient la préparation du plat, pas par la sensation ressentie, pas par l'attention accordée au plat mais une recette explicite, telle quelle, énoncée comme si un inconnu vous interrompait dans la rue dans ces mots :

- Vous écoutez quoi ?

- J'écoute Nino Ferrer

- Ah oui, Nino Ferrer, chanteur yéyé des années 60, connu avant-tout pour ses chansons drôles qui essayé de se démarquer du show-biz, etc [insérer 10 minutes de page wikipédia].

Cela fait le même effet que dans le film : personne n'a rien demandé. Ce n'est pas naturel. On a l'impression d'être pris pour des imbéciles. Ça casse toute la subtilité.

Je parle des recettes du film mais cela va aussi pour tout ce qui entoure la culture culinaire. Régulièrement, les personnages se mettent à dialoguer comme une page wikipédia : ah Antonin Carême blabla [insérer la page wikipédia d'Antonin Carême]. Ah Auguste Escoffier blabla [insérer la page wikipédia d'Auguste Escoffier]. C'est adapté (librement) d'un ouvrage. A l'écrit ça fonctionne peut-être puisque nous n'avons pas l'image, l'imagination est notre jardin érotique mais avec le cinéma, non. Ratatouille, dans le même sujet, reste bien meilleur. Ou même Chef (avec Jon Favreau). Ou The Bear. Vous avez le choix.

(Une des pires scènes, reste selon moi quand Dodin annonce à ses amis qu'il va faire un pot-au-feu et que l'un d'entre-eux, se met à conter la préparation de A à Z sans que personne ne lui demande alors que tout le monde, évidemment, c'est ce que c'est. Merde quoi, c'est un pot-au-feu, t'avais vraiment besoin de me réciter la préparation ?)

Cette explicitation constante se perd aussi dans la crédibilité de la connaissance des personnages.

Les cuisiniers et cuisinières savent la recette d'un plat ? C'est d'accord, c'est leur métier.

Les amis des cuisiniers savent la recette d'un plat ? Allez, peut-être, une grande culture culinaire est tout à fait envisageable même si, comme dit précédemment, cela devient un mécanisme d'explication constant et douteux pour le spectateur.

Une gamine de 8 ans qui s'incruste pour la première fois en cuisine et qui identifie en 2 minutes le 3/4 tous les ingrédients d'une sauce ? Non. Non. Et non. Le film n'a même pas eu 3 dialogues que cette gamine (nommée Pauline dans le film) sait réciter toute la recette de la sauce.

D'ailleurs puisqu'on parle de cette gamine, parlons des acteurs. Il y a un problème. A part Magimel, les acteurs, je le pense sincèrement, sont très mal dirigés (ou jouent très mal ?). Les pires restent donc cette Pauline, qui, il faut le dire, n'a pas 4 phrases à dire de tout le film et qui, dans les expressions faciales, ne transmet rien. Un comble pour un film censé transmettre des émotions culinaires. Le plus souvent, 90% du film à dire vrai, Pauline a les yeux écarquillés, vides. Mais le pire... C'est notre Juliette Binoche qui a un jeu à l'inverse des plats qu'elle prépare. Rien ne semble naturel, elle ne sait pas jouer : ni l'émotion, ni la maladie gagnante, ni l'amour. Son personnage est très mal écrit. Présentée comme LA femme forte, le film se veut très condescendant avec le développement de son personnage. Souvent développé comme le fait que son rôle de cuisinière la met au centre des décisions de la maisonnée (d'ailleurs très douteux comme choix mais soit), refusant de se marier avec Dodin pour garder son indépendance, elle le fait finalement plus tard (un repas bien agencé de 2 heures lui aura suffi à changer d'un avis établi depuis 20 ans) et la dernière phrase du film venant contredire tout son développement. Un jeu défaillant et une caractérisation contradictoire auront eu raison de notre très chère Juliette.

Enfin, je le mets ici, comme la salle de cinéma fait partie intégrante de mon expérience de la séance vécue : les spectateurs. La passion de Dodin Bouffant est destinée à un public, disons, plutôt mature, âgé et cela faisait longtemps que je n'avais pas vu un public aussi immature lors d'une séance de cinéma. Ça parle fort, ouvertement, ça se permet des commentaires sur ce qu'il y a à l'écran comme si ils étaient devant une émission culinaire du dimanche matin, ça verbalise toutes sortes d'onomatopées pas nécessaires (ohhhhhhhhhhhhh, ahhhhhhhhhhhhh) (ta gueule) et enfin, ça rit. Ça rit. Pourquoi ? Ça n'est pas drôle ? En quoi ce film est drôle ? Cette question me hante encore.

Entre deux mauvais dialogues, deux spectateurs irrespectueux, deux mauvais acteurs, ça met l'eau à la bouche et la mise en scène est chouette. Mais ça reste deux points sur dix. Je suis en colère contre le film. L'impression de m'être fait carotté.

Quickos
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le 2 janv. 2024

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Quickos

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