"Depuis que sa femme a été victime de brûlures dans un accident de voiture, le docteur Robert Ledgard, éminent chirurgien esthétique, se consacre à la création d'une nouvelle peau, grâce à laquelle il aurait pu sauver son épouse. Douze ans après le drame, il réussit dans son laboratoire privé à cultiver cette peau : sensible aux caresses, elle constitue néanmoins une véritable cuirasse contre toute agression, tant externe qu'interne, dont est victime l'organe le plus étendu de notre corps. Pour y parvenir, le chirurgien a recours aux possibilités qu'offre la thérapie cellulaire. Outre les années de recherche et d'expérimentation, il faut aussi à Robert une femme cobaye, un complice et une absence totale de scrupules. Les scrupules ne l'ont jamais étouffé, il en est tout simplement dénué. Marilia, la femme qui s'est occupée de Robert depuis le jour où il est né, est la plus fidèle des complices. Quant à la femme cobaye…"

Rien que le pitch et l'affiche mettent l'eau à la bouche. L'affiche, dérangeante, résume à elle seule l'univers glauque de ce film oppressant. C'est la première fois, dans la carrière du cinéaste espagnol, qu'on est en face d'un thriller avec ses codes inhérents : du suspense (qui est cette Véra ? Que représente t-elle pour Robert ?), des interrogations (pourquoi est-elle enfermée ?...). Ce qui est frappant aussi, c'est le système de l'analepse ou flashback qui traverse tout le film. Le spectateur est un peu désorienté au début, ça part dans tous les sens mais on s'y retrouve finalement. Le twister à mi parcours est réellement surprenant, j'ai été estomaqué.

Ce film tourne autour d'un duo d'acteurs : Banderas et Anaya. On retrouve le thème classique de la séquestrée et du bourreau mais traité de façon originale. Banderas se définit à la fois par son sadisme et son voyeurisme mais il se prend aussi pour un sauveur qui veut soigner les blessures de Vera. Cette ambiguité donne de l'épaisseur au rôle de Banderas alors que Anaya joue sur la corde de la sensibilité extrême et aussi d'un désespoir assez noir. On pourrait croire la jeune femme victime du syndrome de Stockholm, amoureuse de son ravisseur mais les apparences sont vraiment trompeuses dans ce film ... Ces volte-face incessants lui donnent beaucoup de rythme.

Le film est dominé par sa morbidité : Véra est un nouvel avatar de Frankestein et Robert, un savant fou, démiurge qui veut en permanence améliorer sa "créature" pour qu'elle devienne parfaite. Ainsi, Véra devient un jouet, "créé à la mesure" de Robert. Le thème de l'enfermement et de l'étouffement est quasi-viscéral ici. On est en présence d'un film érotico-horrifique : les scènes de nu sont fréquentes, comme si Almodovar voulait dévoiler ses personnages, les faire apparaître tels quels.

C'est là qu'on retrouve la récurrence du motif du masque : dès l'affiche ou le mot même de "piel", on sait que le spectateur va assister à une métamorphose conséquente. La seconde peau de Véra, qu'elle soit physique ou mentale est une métaphore bien vue pour nous signifier que tout n'est pas si clair que cela en a l'air. Le second thème crucial du film réside dans le trouble identitaire et des genres : sans spoiler (ce qui n'aurait nul intérêt), on pourrait résumer ce film par : "Qui suis-je au fond ?". Véra mais aussi Robert sont tous les deux des personnages en crise, qui suite à des drames ne savent plus où ils en sont. Robert est à la limite du psychopathe et Véra est victime de son enfermement. On est tout à fait dans un huis-clos ici et l'étau se resserre jusqu'à la fin bouleversante. Ce combat entre le maître et sa créature, le démiurge et son image, le savant et son produit se base sur une histoire sordide de vengeance mutuelle. On pourrait appliquer le proverbe "Tu ne perds rien pour attendre" ou "Tel est pris qui croyait prendre" à ce film caractérisé par un patchwork de genres : thriller, horreur, fantastique, drame etc. Pour conclure, je vous invite à courir voir ce film étonnant, bouleversant, ahurissant, émouvant. Une réussite.
PepperRd
7
Écrit par

Créée

le 27 sept. 2012

Critique lue 313 fois

PepperRd

Écrit par

Critique lue 313 fois

D'autres avis sur La piel que habito

La piel que habito
Pravda
8

De l'inutilité d'écrire une critique lorsque 194 autres existent déjà.

Ça y est, enfin : j’ai vu mon premier Almodovar ! (Hourras d’une foule en délire) Ce réalisateur m’intriguait, certes, Volver attend sur mon disque dur depuis un bon bout de temps, mais mon...

le 17 sept. 2013

52 j'aime

17

La piel que habito
TheScreenAddict
8

Sobresaliente !

Pedro Almodòvar poursuit son inexorable exploration des ténèbres de l'âme humaine, qu'il avait initiée dans La Mauvaise éducation. Sillonnant les sentiers glaciaux d'un thriller macabre, La Piel que...

le 20 août 2011

47 j'aime

7

La piel que habito
guyness
4

Un vrai semblable

Une histoire est intéressante à partir du moment où elle respecte une forme de cohérence interne. Qu'importe le postulat de départ, finalement (voyage dans le temps, zombies violeurs de dinde...

le 2 janv. 2012

32 j'aime

9

Du même critique

Lonerism
PepperRd
6

Critique de Lonerism par PepperRd

Quelques mois après la très concluante parenthèse Pond, le groupe Tame Impala, désormais quatuor, revient avec les mêmes intentions que pour "Innerspeaker"… la folie et la surprise en moins. Toujours...

le 31 oct. 2012

4 j'aime

Melancholia
PepperRd
9

This is the end

Au-delà des propos de Lars Von Trier en conférence de presse à Cannes, qui tiennent davantage de la maladresse que de la provocation, et de la polémique odieusement excessive qui en a suivi, le...

le 19 oct. 2012

3 j'aime

Belle et Bête
PepperRd
7

Critique de Belle et Bête par PepperRd

Déloger l'animal... N'y cherchez aucune révélation même si tout est dit sans avoir besoin d'en rajouter. De mystère, il y en avait si peu ou celui peut-être des réelles motivations d'un homme mi...

le 3 mars 2013

1 j'aime