Heaven's gate est le troisième long métrage réalisé par Michael Cimino. Une oeuvre radicale et majeure de l'histoire du cinéma et ce à plus d'un titre.
Tout d'abord, il s'agit d'un western atypique et démystificateur. En effet, tout les codes du genre sont présents. Le héro solitaire, le (ou plutôt en l'occurence les) méchants propriétaires terriens, la belle et les pionniers en danger, le méchant et brutal homme de main, les décors hallucinants de beauté sauvage, bref tout y est. Toute ces thématiques fondatrices du western hollywoodien, le réalisateur va s'en saisir et les soumettre aux perspectives sociologiques et historiques qui à l'époque (début 80) lui attireront les foudres de toute l'industrie hollywoodienne mais aussi du public.Cet anti-western, donc, sonnera la fin de la main mise des réalisateurs hollywoodiens sur leur oeuvre et préfigura bien involontairement l'avènement d'une industrie cinématographique formatée et essentiellement spectaculaire typique du cinéma hollywoodien des années 80. Un an plus tôt Francis Ford Coppola obtenait la palme d'or pour Apocalypse Now ce qui sauva sa carrière (momentanément du moins )et celle de son film. Cimino ne connaîtra pas le même bonheur, car après un accueil cannois très tiède, différents montages devront être présentés pour raccourcir et édulcorer la version voulue par le réalisateur. Les producteurs persuadés du désastre financier en puissance que représentait ce brûlot socio politique imposèrent une version plus commerciale qui ne marcha absolument pas. Cette catastrophe financière coula United Artist. Une étiquette de four financier collera très longtemps au film.
Mais de quoi parle cet "anti-western" ou plutôt ce western post classique? Le film se déroule en 1890 dans l'Etat du Wyoming. Cette Etat voit affluer des vagues de migrants venus s'installer dans l'ouest américain en vue de se construire un avenir. Cette immigration est très mal perçue par les riches propriétaires terriens locaux. Tellement mal vue qu'ils n'hésitent pas à condamner à mort cinquante individus (tous issus de cette immigration laborieuse) et ce par un décret tout à fait légal. Cette initiative est d'ailleurs ouvertement soutenue par le président américain lui-même. Une milice privée est donc constituée à cette fin. C'est sur cette toile de fond que navigue James Averill (Kris Kristofferson), marshall fédéral issue de la classe bourgeoise. Averill s'oppose au projet génocidaire mais il est désabusé et complètement isolé, à tel point qu'il refuse de se lancer dans une croisade qu'il sait perdue d'avance. Cependant, il y a Ella (Isabelle Huppert magnifique en tenancière de bordel) dont il est éperdument amoureux et qu'il voudrait emmener avec lui loin de cette enfer. Mais Ella bien qu'impressionnée par Averill (universitaire issu de la haute société puritaine la même en fait qui est à l'origine du décret funeste) refuse à demi-mot car elle gère sa propre affaire et préfère se battre pour garder son indépendance que de fuir et s'aliéner à quiconque. Averill n'est pas seule à aimer Ella, il y a aussi Nathan Champion (Christopher Walken), shériff local issu quant à lui de cette immigration misérable mais persuadé, du fait de son travail de chien de garde des propriétaires fonciers, s'être élevé dans le monde. Il est brutal et impitoyable mais non dénué de tendresse. Il voudrait épouser Ella, pour l'impressionner il lui montre sa maison (une cabane en rondins) tout enorgueilli d'en avoir recouvert les murs intérieure de papier journal, comme un riche bourgeois exhiberait fièrement sa propriété à sa promise. Cela la fera gentiment sourire. Mais sans doute est-elle plus sensible à cette démonstration maladroite qu'à la voiture que lui offre Averill. Ce n'est pas tant la voiture qui l'interpelle mais plus la désinvolture avec laquelle ce bien hors de prix lui est offert par un Avrill un rien blazé de sa fortune. Manifestement ils ne sont pas du même monde.
Au lieu de s'opposer, Averill et Champion vont quelque part se rejoindre. Le nanti désabusé mais torturé par sa morale et le pauvre shériff ambitieux, brutal mais tendrement amoureux. Ces deux aberrations (chacun trahissant à leur manière leurs origines respectives) vont faire cause commune pour défendre Ella dont le nom figure sur la liste.
Ce récit dépeint les fondations corrompues d'une Amérique désenchantée, cloisonnée, cadenassée. Chaque personnage évolue dans sa propre sphère et se trouve dans l'impossibilité de s'en extraire et donc se voit condamner à l'incapacité de rencontrer l'autre. Certains en souffrent, d'autres en jouissent et feront tout pour que cet équilibre demeure. La seule issue sera l'affrontement voulu comme inéluctable, car à l'instar d'Averill et Champion, les migrants ne manqueront pas de s'insurger. Cela donnera lieu à une bataille d'une violence et d'un réalisme hors du commun. Les immigrés supérieures en nombre et organisés par Averill seront sur le point de l'emporter, la cavalerie (l'armée fédérale) interviendra pour secourir la milice privée et maintenir l'ordre établi et le garantir.
En plus de cette histoire où s'entrecroisent violence sociale et intrigue amoureuse, le film recèle de scènes extrêmement belles et inoubliables. La scène du bal populaire transcende littéralement l'intrigue et la gravité du sujet pour plonger le spectateur dans l'émotion. Cette scène collective de danse en patins à roulette est à opposer aux cérémonies folkloriques universitaires qui ouvrent le film. En effet, d'une part on assiste à une lutte sans merci de jeunes étudiants voulant décrocher un bouquet de fleurs suspendu au sommet d'un mât et accessible à la seule condition d'écraser les autres, des jeunes filles tenues à l'écart observent la scène amusée, le tout baignant dans ambiance lumineuse littéralement solaire, promesses d'un avenir radieu. De l'autre côté, on assiste à un tourbillon collectif où chacun doit tenir l'autre non pas sous un soleil lumineux mais sous un chapiteau poisseux sombre et enfumé. Ces deux scènes sont magnifiquement filmées et met en opposition deux idéologies l'une individualiste et solaire l'autre sombre mais collective. Le spectateur plongé véritablement dans le cœur de ces festivités suivra sa propre sensibilité, le spectateur n'est plus spectateur il appartient à une de ces communauté, il y est littéralement inclus. Il ne peut plus être neutre. Notons toutefois que le bal populaire est beaucoup plus beau que la joute universitaire, le réalisateur penche plus d'un côté que de l'autre ça se sent très fort, d'aucun le lui fera payer au cours de sa carrière.
Enfin comment ne pas évoquer le casting du film qui regorge de perles: Walken est magnifique, on y voit Mickey Rourke à ses débuts, Brad Dourif est inoubliable comme à chaque fois, et Jeff Bridges est méconnaissable et préfigure le grand acteur qu'il sera.
Heaven's gate est une œuvre cinématographique complète, aujourd'hui heureusement complètement réhabilitée. Si seulement il en était de même de son réalisateur quel bonheur ce serait.
verhuist
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le 1 mars 2013

Modifiée

le 4 mars 2013

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