Manipuler les émotions à des fins historiques?
Cela fait maintenant un certain temps que La Rafle faisait parler de lui. Son matraquage publicitaire n'est en effet pas passé inaperçu, et l'on se demande bien se que peut cacher une telle quantité d'annonces. Les films historiques, surtout lorsqu'ils traitent d'un sujet aussi délicat que celui de la Shoah, se sentent souvent investis d'une mission divine; celle d'éduquer les jeunes générations sur des drames du passé, et de rappeler aux plus anciennes les erreurs et les horreurs de la guerre. Tout ceci dans le but d'éviter, pour les deux âges, qu'un tel événement puisse se reproduire. L'objectif est honnête, mais la manière l'est-elle seulement? Lorsque l'on voit que La Rafle se voit déjà impliqué dans le système éducationnel français, puisqu'il fera partie intégrante d'un programme d'histoire destiné à expliquer aux têtes blondes l'horreur de la Shoah (à l'instar de La Liste de Schindler), l'on ferait bien de se poser la question une deuxième fois.
Dès les premières images du film, l'on ressent très vite la volonté des scénaristes d'ancrer le récit dans un réalisme parfait. Des images d'archives défilent, montrant Paris sous le joug des Allemands, puis une transition s'effectue et les spectateurs sont alors amenés dans la fiction, pour laquelle un soin particulier a été fourni à la reconstitution de l'époque. De plus, par souci d'historicité, le film s'est appuyé sur différents spécialistes et des rescapés pour proposer une version des faits se rapprochant au plus près de la vérité. Quand un tel soin est appliqué sur des données historiques, l'on ne peut que louer les intentions des scénaristes. Cependant, toutes ces informations factuelles ne suffisent pas à façonner un film, et ce dernier nécessite obligatoirement des passages fictifs pour rendre la narration un tant soit peu linéaire pour le spectateur. Ceci s'avère problématique, surtout lorsque l'on apprend que de tous les enfants déportés du Vel d'Hiv, aucun n'a survécu. Seul Joseph Weiszman, aujourd'hui âgé de 80 ans, est parvenu à s'échapper du camp de concentration.
Dès ce moment, comment séparer la véracité de la fiction? La première partie du film, plus factuelle, et donc probablement plus réaliste étant donné le nombre de témoins qu'il a dû y avoir, ne pose pas le moindre problème. Ceci dit, dès la déportation dans le Vel d'Hiv (dont un quart a été reconstruit pour le tournage, le reste étant créé numériquement – ce qui se remarque trop, malheureusement), La Rafle se laisse aller à des débordements de mélodrame, ce que l'on ressentira d'autant plus par la suite, au camp de Beaune-La-Rolande. Les relations entre les personnages favorisent dès lors, en effet, une dramatisation grossière des rapports entre les différents protagonistes, via différents procédés. Tout d'abord, le film aime contraster d'une manière brutale le monde des enfants, leur innocence et leur naïveté, avec la dure réalité de la situation et la cruauté de certaines situations, parfois avec de l'humour. Une manière particulièrement malsaine d'atteindre les émotions des spectateurs, alors à la merci de ces bouilles adorables mais souffrantes. Le personnage du petit Noé Zygler, à la gueule d'ange et à la naïveté exemplaires, est notamment utilisé dans l'unique but de favoriser l'empathie des spectateurs, avec ses zozotements et son incompréhension des événements. En outre, l'utilisation de la musique – certes déjà plus répandue dans le cinéma dramatique –, lourde de ses violons plaintifs et de ses emprunts à la musique classique (Wagner, Debussy), force la larme et l'empathie absolue. Elle exagère également les contrastes que cherche à créer le film, notamment entre l'oisiveté d'un Hitler et de sa bourgeoisie, et la malnutrition des Juifs.
Pourquoi donc vouloir amplifier l'horreur d'événements, dont seule l'énumération suffirait à nouer la gorge du moindre être humain? Ces atrocités ont bel et bien été vécues, mais au lieu de poursuivre son but premier, à savoir celui de reproduire les faits avec le plus d'exactitude possible, le film semble atténuer leur atrocité (n'oublions pas que le produit est aussi destiné aux enfants) et d'exagérer les mélodrames relationnels. Certes, Spielberg nous épargnait le gaz dans la scène des douches, mais l'enjeu était autre. Une telle dramatisation du récit était-elle donc vraiment nécessaire? La terrible réalité des événements ne se suffirait-elle pas à elle-même? Le sentiment de devoir qu'ont éprouvé la réalisatrice et les scénaristes d'éclairer ce sombre événement de l'Histoire, mais aussi de la France, mérite le respect, mais peut-être auraient-ils dû se contenter de relater l'horreur au lieu de se confondre dans un sentimentalisme navrant.