La Ronde du crime
7.1
La Ronde du crime

Film de Don Siegel (1958)

Quelle efficacité dans le film noir pur jus de la part de Don Siegel ! Un scénario tiré au cordeau, d'une sécheresse cinglante, arborant une violence froide essentiellement condensée dans le personnage interprété par Eli Wallach. L'intrigue est vraiment originale, simple mais efficace, et divisée en deux grands temps : une première partie focalisée sur le point de vue des enquêteurs, qui essaient de comprendre un fait divers un peu mystérieux survenu devant un aéroport et faisant intervenir une mallette ainsi qu'un accident de taxi, et une deuxième adoptant le point de vue des tueurs professionnels derrière l'accident, qui ne devait rien au hasard. Siegel manie vraiment très bien le glissement de l'une à l'autre, en déroulant très progressivement le contenu, de sorte que l'on soit constamment comme des drogués en attente de davantage de matière. Et lorsque le mobile des criminels arrive, dans une rupture de ton totale, l'effet s'en trouve décuplé. On découvre qu'il s'agit d'un trafic d'un genre peu commun, organisé à l'insu de nombreux voyageurs revenant d'Orient qui portent dans leurs valises des statuettes et autres objets exotiques remplis d'héroïne. Pour les malfrats, il s'agit d'identifier les mules involontaires, de les traquer, de leur subtiliser l'objet et même éventuellement de les éliminer — avec un jeu entre les deux tueurs consistant à relever les dernières paroles de toutes leurs victimes, dans un style comique extrêmement austère.


On reconnaît dans la souplesse du récit le réalisateur de Tuez Charley Varrick !, dans un registre toutefois beaucoup plus décontracté, comme on peut l'imaginer en remplaçant un Eli Wallach excité de la gâchette par un Walter Matthau débonnaire et tendrement nonchalant. Mais il est ici question du film noir dans tout ce qu'il a de plus noir, avec une tonalité crue qui verse dans le sadisme à de nombreuses reprises lorsqu'on suit le périple meurtrier des tueurs à la recherche de la came. Pas du genre à rechigner à malmener une pauvre petite fille quand la mère ne coopère pas prestement.... Les répliques cinglantes fusent régulièrement, de "When you live outside the law, you have to eliminate dishonesty" à "He's a wonderful, pure pathological study. He's a psychopath with no inhibitions".


La tournée des malfrats récoltant la drogue aux quatre coins de San Francisco sera également l'occasion de faire une virée agréable dans la ville, avec une multiplicité de lieux immersive, des docks au hammam en passant par une patinoire et un aquarium. Lorsqu’un grain de sable s'insère dans l'engrenage pourtant bien huilé de leur routine (une gamine qui confond de l'héroïne avec de la poudre pour le visage de sa poupée, franchement...), leur chute apparaît d'emblée comme inévitable et Siegel filme très bien cette longue et éprouvante descente — qui passera par une séquence (à la patinoire) assez inattendue concernant "the man", le commanditaire de l'opération. Armé d'un minimalisme narratif franchement très opérationnel, The Lineup fait partie de ces films noirs de facture classique qui distillent (si tant est qu'on y soit sensible) une froideur et une noirceur singulières.


http://je-mattarde.com/index.php?post/The-Lineup-de-Don-Siegel-1958

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le 2 déc. 2020

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Morrinson

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