Je ne dirai pas que ce film m'a réellement enthousiasmée : je suis assez peu sensible aux côtés grand-guignolesques et il faut dire que la réalisation du Coréen Kim Ki-Young n'en manque pas.
Il serait toutefois injuste de ne pas reconnaître à ce film de 1960 une mise en scène innovante et recherchée qui en fait une oeuvre résolument moderne malgré tout.


La Servante, c'est d'abord l'histoire d'une femme simple mais pas simpliste, une fille de la campagne que frustration et envie vont muer en une maîtresse des lieux tortueuse et perverse, sorte de pieuvre tentaculaire à l'emprise de laquelle nul membre de la famille ne pourra échapper.
Et en premier lieu celui qu'elle convoite de toute sa sensualité brute et quasi animale: le maître de maison, ce professeur de musique qui trouble déjà les petites ouvrières de l'usine où il enseigne, tout émoustillées par ses beaux yeux.
Un romanesque exacerbé qui se soldera par un drame, faisant porter à cet objet de désir le poids d'une culpabilité et d'une faiblesse annoncées.


Film d'horreur, drame familial, thriller psychologique et film social, La Servante c'est tout cela à la fois exprimé dans un huis-clos où la violence va crescendo, où le mal suinte des murs et des placards de la nouvelle maison à étage symbole de réussite sociale mais aussi prison qui piège les êtres, les refermant inexorablement sur eux-mêmes, leurs peurs et leurs désirs.


Et la caméra s'insinue dans le quotidien de cette famille qui avait tout pour être heureuse, filmant sa dégradation par le regard de cette femme, cruel, effrayant dans sa volonté de destruction à seule fin de s'approprier ce dont le sort l'a privée, suprême injustice à ses yeux.
Elle ne reculera devant rien : chantage, harcèlement de l'homme déjà fragilisé qu'elle va réduire à sa merci, dans sa propre maison, sa propre famille, un être perdu qui se dérobe et regarde, partagé entre horreur et fascination la créature maléfique qui le prend, le force et l'accapare, rongé par le remords mais désormais incapable de protéger sa famille.


On retrouve dans cette version restaurée que j'ai eu la chance de voir à La Rochelle sur grand écran, ce noir et blanc tellement expressif des films de l'époque, qui souligne, avec plus d'acuité encore, l' horreur la frustration et les désirs : une réalisation qui a le mérite de l'insolite et ménage un effet final tout à fait inattendu où la surprise le dispute à l'humour noir.

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le 4 août 2012

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Aurea

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