La Traque
7.5
La Traque

Film de Serge Leroy (1975)

Un âpre sens de l'hospitalité

Un sacré coup de savate à la française ce survival poisseux qui débute comme un documentaire, sponsorisé par la camomille que tu t’enfiles devant chasse et pêche après une bonne biture, et passe en mode sauvage sans crier gare. Aucun artifice au menu, du brutal sans concession, pour une fable sociale très terre à terre, où il est question de choix radicaux pris par des hommes de pouvoir bien décidés à le conserver.

Serge Leroy exploite les codes du cinéma de genre pour mettre à nu la nature humaine dans ce qu’elle a de plus détestable. Faisant monter la tension à la manière d’un rape and revenge classique, il parvient, en l’espace d’une seule séquence, à inspirer dégout et soif de vengeance à un spectateur surpris par cette orientation aussi noire du film, même si le chaos qui caractérisait la première demi-heure laissait supposer autre chose qu’une simple partie de chasse entre amoureux de la bonne bouffe et du pinard.

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/!\ Quelques spoilers dans la suite, je conseille de voir le film avant d’en prendre connaissance, si toutefois les deux précédents paragraphes vous ont donné envie de le faire :)
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Serge Leroy mène parfaitement sa barque, et choisit de ne pas se laisser aller à l’appel du genre qui tendrait à exploiter toute la seconde partie pour développer chez le spectateur son envie de justice. En fait, cette soif de vengeance, le cinéaste l’offre au spectateur immédiatement après le viol, mais la scène, bien que légitime, plutôt que de faire l’effet d’un soulagement, met mal à l’aise. D’autant plus qu’elle appelle forcément ce qui va suivre : une traque infernale, malsaine et inégale, dont l’inévitable issue se dessine inexorablement. Le véritable dessein du film est alors livré à travers l’action et les prises de décisions qu’y prennent des hommes influents, égoïstes et impitoyables —incarnés par un casting aux petits oignons, mention spéciale à Jean-Pierre Marielle, parfait comme d’habitude—, jusqu’à un final éprouvant et destructeur.

Tirant avantageusement partie des vastes décors dont il dispose, Serge Leroy conduit sa victime à sa perte en imprimant dans son regard une telle rage de vaincre, que l'illusoire espoir d’en réchapper qui l’anime finit par nous contaminer. D’autant plus que le cinéaste sème quelques miettes rédemptrices dans le sillage de ses prédateurs, à l’image de ce tunnel sécurisant qui laisse entrevoir la possibilité d’une réconciliation. Mais Serge Leroy est bien décidé à ne pas adoucir son propos, ni à ce moment là, ni jamais. Et c’est par la violence qu’il ôte définitivement au film sa dernière once d’espoir.

Une mise en joue soudaine, la proie est à terre, se relève pour un dernier tour de piste, avant de s’engager avec fatalité dans la dernière ramification d’un labyrinthe de haine malheureusement insoluble. Par un dernier souffle témoignant de toute sa détresse, toute vie s’évapore de la jeune femme, lentement, inexorablement, sous le regard éteint d’hommes de belle réputation, qui ont fait, une nouvelle fois, le nécessaire pour continuer à forger leur influence et qui, enfin peuvent retrouver leur sérénité : ils ne sont de toute façon pas facilement soupçonnables.

Au moment de ranger le DVD qui n’a toujours pas été édité (c’est bien triste quand même), on se prend à hocher la tête en signe de respect pour une proposition française complètement à part, assumée à 100% dans sa noirceur la plus totale. Une bobine qui mérite le coup d’œil, parfois balbutiante dans sa mise en œuvre formelle, mais décidément rendue très puissante par son fond sans concession.

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oso
7
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le 23 oct. 2014

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oso

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