Cela faisait un bail que je voulais découvrir ce film.
« La traversée de Paris » est passé il y a encore quelques semaines à la télé.
Je voulais aussi le voir pour sa durée (à peine une heure vingt) et un pitch expérimental qui pourrait me plaire : deux types traversent Paris pendant la seconde guerre Mondiale : c’est tout ce que je savais.
Ce film remonte à 1956, en noir et blanc : la musique d’introduction sur des images (authentiques) du contexte terrible de l’époque, le film se déroulant en 1942, avant d’entrer dans une fiction qui sera pas tout à fait de la fiction.
Avant d’entrer dans l’histoire, je voudrais parler de la mise en scène très élégante et par moment originale de Claude Autant-Lara avec ses travellings et ses gros plans sur les acteurs.
Dès le début, c’est de la tacle : ainsi on voit sur les escaliers accédant au métro, un mendiant donnant de la musique, des gens passent lui donnent une pièce, notamment un officier allemand, mais le personnage de Bourvil fait son radin, seulement poussée par sa femme.
Marcel (Bourvil) vit du marché noir, devant se rendre chez un certain Jambier (Louis de Funès) avec un instrument, car ce dernier est un boucher : on notera une scène assez crue où un cochon est tué puis découpé où même le sang gicle. Entre un De Funès, au début de sa carrière, dans un rôle déjà caractériel et l’innocence de Bourvil : cette scène annonce leurs futurs succès communs.
La scène est à la fois hilarante et déprimante car nous comprenons le contexte terrible dans lequel évolue les personnages, Marcel devant transporter, le soir venu, des valises pleines de morceaux de cochon chez un type, à quelques kilomètres, mais avant, il devra faire face à sa femme Mariette, qui a son caractère (j’ai été étonné d’ailleurs qu’une femme rabaissant autant son mari et étant prête à le quitter soit montrée à l’écran à cette époque), et le quittera dans un bar, lasse de sa jalousie.
Marcel se retrouvant seul et croisant un certain Grandgil à qui Mariette à donné un peu de savon.
Cette introduction menant à la rencontre de ce duo est peut être un peu longue mais elle vaut le coup et les dialogues sont déjà cinglants. Bourvil incarne un personnage assez détestable, Jean Gabin, pour le moment, apparaît comme un homme simple, au franc-parler (Marcel lui avouant qu’il pensait que sa femme pourrait lui plaire, Grandgil : « Bien si elle m’aurait plus, je te l’aurais dis, mais elle me plaît pas. », il va même juste dénigrer le physique de Mariette !).
On ne sait rien de Grandgil pendant un bout de temps : il laisse suggérer qu’il est un petit truand comme l’est autant Martin, mais on découvrira sur le tard que ce n’est pas du tout le cas.
Si Martin prend pour le moment le dessus de Grandgil, se retrouvant, presque, malgré lui dans une magouille, ce sera bientôt l’inverse, car Grandgil va vite démontrer un caractère provocateur, violent, excessif, inspirant Martin, genre : « Faut faire comme ça ! », l’encourageant à devenir son propre patron. Les échanges entre les deux sont hilarants, on arrive vite à cette fameuse scène entre les deux « amis » et Jambier, Grandgil poussant ce dernier à bout, l’extorquant le plus de fric possible, Grandgil répétant très fort son nom entier et son adresse exacte !
C’est là, que le jeu de Jean Gabin commence à être fatiguant, le summum sera dans la scène du bar où il règle son compte à tout le monde dans un monologue – certes - plein de vérité, dénonçant l’hypocrisie ambiante, où chacun pourrait balancer son prochain, si ça peut servir ses propres intérêts.
Nous découvrons alors une facette assez méconnue de la seconde guerre Mondiale : le goût de la délation. On sait la menace qui pesait sur la population pendant l’Occupation, mais le film montre des gens – non menacés – délatter de leur propre chef donc n’importe qui.
Je ne pourrais pas redire tous les dialogues de ce film, qui sont, une bonne partie du temps, vraiment marrants, mais derrière ces punchlines se cachent aussi un malaise, un regard désenchanté profondément lucide sur la situation actuelle de la France.
Martin admire plus qu’il ne soit lasse du comportement – à risque – de Grandgil, mais n’hésite pas à l’envoyer paître si sa lassitude prend le dessus, plusieurs fois il se rebelle en lui disant notamment : « Oh, ferme ta gueule ! » (j’ai été étonné d’ailleurs du langage très punchy pour un film de l’époque). Grandgil n’est pas plus mesuré et se montre finalement assez peu brutal envers Martin, ce dernier ayant besoin de lui. Grandgil apparaît comme un garde du corps avec son physique massif : dégommant un policier par exemple ou (scène barrée) se débarrassant d’un chien en le prenant par le cou. Ces deux là, forment un duo attachant et irrésistible, mais où va mener leur route à travers Paris, alors qu’ils contournent les obstacles (surtout la surveillance du au couvre-feu imposé) ? Dans leur trajet, l’émotion n’est jamais loin d’un rire, parfois amer.
Mais une fois arrivé à la fin de leur route,


ça se finira assez mal : la scène où ils se font arrêter est montrée en jeu d’ombres. La fin du film est assez lente, avec un suspense, et une avant-dernière scène déchirante, montrant qu’un vrai lien s’est crée au cours de cette soirée là entre les deux hommes. Pour finir l’œuvre sur une lueur d’espoir : nous voyons des images d’archives montrant la libération de la France, et des années après, Grandgil, menant semblant une belle vie, croisant Martin, devenu porteur de valises, avec un dernier échange, là aussi désenchanté.
Grandgil n’a pas oublié Martin, alors que ce dernier – au visage marqué et vieilli par ce qu’il a subi une fois arrêté par les allemands – peine à se souvenir de lui.

Créée

le 2 août 2021

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Derrick528

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