1941.Le Japon en guerre, une opinion verrouillée. Mizoguchi, qui a toujours été bien à gauche, se replie, en attendant mieux, sur des fresques historiques. Dont la fameuse légende des 47 ronins, présentée en deux parties d'1 h 40 chacune.


Un seigneur, Asano Naganori, tente de tuer Kira, le maître des cérémonies du palais Tokugawa, qui lui a manqué de respect. L'enquête est bâclée et le condamne, pour avoir troublé la paix du palais un jour de cérémonie, à l'enfermement, puis à se suicider. Ses possessions sont confisquées, et Kira n'est pas inquiété.


Parmi ses quelques centaines de vassaux, une cinquantaine, menés par l'intendant Kuranosuke Oishi, jure de venger leur maître en tuant Kira. Devenus ronins, beaucoup connaissent la misère, d'autant que leur ancienne maison a subi l'opprobre, même si le peuple donne tort à Kira. Un des 47 ronins, caresse le projet de tuer Kira lors d'un spectacle de No. Mais une femme de la cour, puis un acteur No l'en dissuadent. Il est question de rendre le domaine confisqué, mais les ronins refusent pour garder l'obligation de tuer Kira. Après bien des épisodes (leurs proches qui les abandonne, etc...) ils mettent leur projet à exécution : Kira, attaqué dans sa maison de campagne, est tué, sa tête est portée sur la tombe d'Asano. Les ronins se rendent, attendant la sentence qui les condamne à leur tour au seppuku.


Mizoguchi a délibérément fait le choix de montrer très peu de scènes d'action. En dehors de l'attaque de Kira, traumatisme originel, vous ne verrez pas de combat de sabre. L'attaque sur Kira est racontée par hypotypose (une femme lit une lettre). L'essentiel du film est constitué de dialogues dans lesquels un grand nombre de personnages, qui forment une trame politique en arrière-fond qui m'a complétement échappée, dissertent sur l'attitude qui correspond le mieux au bushido, à la voie du vrai samouraï (deux termes qui reviennent très souvent).


Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'on se situe à un moment-charnière où les valeurs guerrières se diluent dans une période de prospérité où les samouraïs ont moins leur place, où leurs valeurs deviennent obsolètes. Toutefois, verrouillage de l'opinion oblige, Mizoguchi fut contraint de faire un film qui ne mette pas à mal ces valeurs, qu'exaltait le régime d'Hiro-Hito. En cela, ce film trouvera son opposé complet dans Hara-Kiri, qui dénonce l'imposture du code de l'honneur. Au niveau du contenu, Les 47 ronins est donc un film très premier degré, très hagiographique, qui ne reflète probablement pas les valeurs de son réalisateur. Les héros sont exemplaires, il y a peu de place pour l'ambiguïté, mais Mizoguchi montre bien l'articulation entre vengeance privée et loi. Les ronins ne renoncent pas à leur vengeance privée, qui met en péril l'ordre, mais accepte d'en subir les conséquences. J'avoue ne pas avoir tout compris, ayant vu le film sur un mauvais upload de youtube où les sous-titres étaient décalés.


Mais ce à quoi j'ai été très sensible, c'est la qualité visuelle du titre, qui excuse beaucoup de son message. Quelle noblesse, quelle élégance ! Suivent quelques notes au vol, prises en cours de visionnage. Mizoguchi a beaucoup travaillé ses mouvements de grue (on est la même année que Citizen Kane, tiens tiens).



  • Dès le premier plan, le travelling sur la cour de palais est proprement délicieux !


  • Le plan où la femme d'Asano se fait parfumer les cheveux, qui sont ensuite coupés.


  • Très beau plan-séquence sur la femme d'Asano qui annonce à ses servantes qu'elles doivent délivrer leur maître de ses soucis, on explore bien l'espace de l'appartement.


  • Plan en plongée sur un paravent fermé sur lui-même, progressivement ouvert par des serviteurs.


  • Une figure de samouraï isolée devant une porte monumentale noyée de soleil, entourée de pins.


  • Longue scène intense de la prestation de serment de venger Asano, signé dans le sang.


  • Encore un magnifique travelling d'intérieur chez la femme de Kuranosuke, avant qu'elle lui annonce qu'elle le quitte.


  • La deuxième partie s'ouvre sur un spectacle de No filmé à la grue.


  • L'arrivée des 47 ronins, qui s'agenouillent devant la tombe de leur maître pour y déposer la tête du fêlon.


  • Très beau travelling descendant sur une cour, quand on apprend la sentence du pouvoir central. Les 47 ronins sont consignés dans une maison dont ils n'essaient pas de s'échapper. Des artistes reconnaissants viennent les délasser (danse, flûte).


  • Dernier plan impressionnant : Oishi est appelé le dernier au seppuku, la caméra s'arrête sur son visage rayonnant puis s'élève, passe par-dessus un muret pour s'arrêter sur la cour d'exécution qui l'attend. Fondu au noir.



Les 47 ronins est un film lent, beau, dont l'éloge du bushido est sujet à caution, et dont il faudra que je le revisionne à tête reposée tant sa trame complexe m'a en partie échappé. C'est probablement un jalon du film de samouraï, au moins en ce qui concerne les valeurs que ce genre porte.


P. S. : Entendu un cinéphile français soutenir la thèse selon laquelle le film, décrivant un groupe allant consciemment à la mort, serait un présage, chez Mizoguchi, d'une catastrophe annoncée. A mon avis, c'est surinterpréter.

zardoz6704
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le 2 mai 2016

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