François Toledo est le citoyen ordinaire type.Ouvrier consciencieux dans une usine automobile,marié à une ouvrière d'une fabrique de poupées,père d'une petite fille,il vit dans un modeste appartement à Poissy et entretient en outre une liaison avec une collègue de travail.Une vie des plus banales,donc.Alors pourquoi la police le surveille-t-elle en permanence?Eh bien,il semblerait qu'à ses heures perdues,le mec fréquente les prostituées et les étrangle parce qu'il n'arrive pas à bander avec elles.Comme le chante Brassens,"la bandaison papa ça ne se commande pas".Quand Claude Lelouch fait son film contre la peine de mort.Le réalisateur,à l'époque,se cherchait et se cramponnait à la remorque de toutes les modes qui passaient devant lui.De la post Nouvelle Vague avec "Une fille et des fusils" en 64,il s'était converti avec succès au cinéma traditionnel bourgeois avec "Un homme et une femme" en 66,Palme d'Or cannoise et Oscar du meilleur film étranger à la clé,avant de poursuivre dans cette veine en 67 avec "Vivre pour vivre".Mais là,on est en 68,et il décide de sacrifier au gaucho-concerné alors en vogue.Pour ce faire,il mélange ses deux veines précédentes.Le côté ciné vérité d' "Une fille et des fusils",dont il réutilise les comédiens Amidou,Janine Magnan et Jacques Portet,ainsi que l'aspect documentaire.Revoici donc l'usine Simca,où travaillaient déjà les héros du film de 64,la description du boulot pénible dévolu à la classe ouvrière,les voitures d'antan,Simca 1000,R16,DS,cars Saviem,les cigarettes qu'on fume en permanence,les petits bistrots,le tout agrémenté de HLM pas encore dégradés,de télés noir et blanc et d'hôtels de passes.Lelouch multiplie les gros plans afin de renforcer l'ambiance docu immersif.Mais on retrouve également certaines figures de style inaugurées dans "Vivre pour vivre",telles que les séquences horriblement étirées où les dialogues sont couverts par la musique,ou les images choc du début,ici celles d'une corrida,qui ne sont pas là par hasard puisqu'elles illustrent le sort qui attend Toledo.Harcelé par les interrogatoires policiers,épuisé par la garde à vue,il finit,tel le taureau dans l'arène livré au torero et aux picadors,par s'effondrer et finir exécuté.Le parallèle peut paraître opportun si l'on fait abstraction du fait que l'animal,lui,est innocent.Le réalisateur-producteur-scénariste s'est entouré de son équipe habituelle.Alexandre Mnouchkine et Georges Dancigers coproduisent,Pierre Uytterhoeven coécrit le script,Claude Barrois assure le montage,et Francis Lai signe la partition musicale,fort médiocre d'ailleurs.Il s'est aussi adjoint les services de deux assistants qui feront du chemin,Claude Pinoteau et Daniel Vigne.Lelouch innove dans ce film qui tient du méli-mélo entre fiction et documentaire.La construction rend la narration assez confuse.Faute d'explications suffisantes,on reste un bon moment sans savoir ce qu'on reproche à Toledo,puis en ignorant s'il est coupable ou non.Les choses seront clarifiées plus tard sous forme de flashbacks.On passe de la couleur au noir et blanc au moment de la condamnation du "héros",avant de revenir ensuite à la couleur.Rien ne nous est épargné des rouages de l'enquête policière,du procès,des conditions de détention du condamné ni bien sûr,clou du spectacle,de l'exécution,tandis qu'interviennent à l'occasion de véritables magistrats et avocats.Ah,la peine de mort,c'était quand même le bon temps!On dira ce qu'on veut,mais ça nous a quand même débarrassé d'un paquet de furieux salopards à qui ça a ôté toute velléité de récidive.Alors,évidemment,tuer des gens,c'est pas bien,au sens humaniste du terme,qui n'est qu'un dérivé de la morale religieuse."Tu ne tueras point",est-il dit dans les Commandements.Si les assassins s'en inspiraient,le problème ne se poserait pas.Les abolitionnistes finiront par avoir gain de cause en France en 81,parce que c'est le sens de l'Histoire,qui va vers toujours plus de laxisme et de décadence à tous les niveaux.On peut le constater aujourd'hui,avec une criminalité en pleine expansion,une peine de mort supprimée,des condamnations ridiculement clémentes dont les "bénéficiaires" n'effectuent même pas la moitié,et une population pieds et poings liés à qui on refuse les moyens de se défendre individuellement.Car autrefois la société apportait une réponse forte aux dérives criminelles et punissait en proportion des fautes commises,ce qui n'est plus du tout le cas.Le lobby abolitionniste ne pouvait s'arrêter à la suppression de la peine capitale parce que lobbyiste,c'est un métier.Donc,si on a obtenu quelque chose,il faut aussitôt réclamer autre chose si on ne veut pas se retrouver au chômage.De fait,derrière la peine de mort se profilait l'idée d'abolir toute punition,degré ultime de l'entropie qui arrive et conduira sans doute à la guerre civile.Lelouch s'y prend bizarrement dans sa démonstration,et il se mélange les pinceaux.Est-ce parce qu'il n'est pas très futé ou parce que sa prétention l'aveugle,toujours est-il qu'il présente les choses honnêtement,ce qui aboutit à l'effet inverse de celui recherché.Toledo n'a aucune excuse,et on n'éprouve aucune pitié pour lui.C'est une saloperie de détraqué,une sinistre ordure,et on n'est pas mécontent de le voir coincé dans la bascule à Charlot.Il s'attaque à des victimes particulièrement vulnérables,de manière préméditée,juste pour affirmer une virilité dont il fait pourtant preuve par ailleurs avec sa femme et sa maîtresse.Donc,Lelouch ne joue pas la carte de l'erreur judiciaire,si chère aux abolitionnistes,pas plus que celle du racisme,pourtant souvent utilisée.On ne sait pas grand-chose du gars,mais vu son nom et son goût pour la corrida,on le suppose espagnol.C'est parait-il tiré de faits réels,mais il eût été facile aux auteurs de nous seriner le couplet du pauvre arabe stigmatisé.D'autant que le rôle a été confié à un acteur maghrébin!Grosse erreur de casting car outre qu'Amidou,honorable acteur de complément,n'a pas les épaules pour ce rôle vedette écrasant,il est donc arabe.Ce n'est pas un problème en soi,mais l'ennui c'est que ça se voit,car il est très typé et n'a pas une tête à s'appeler Toledo,et encore moins François.Il est vrai que de toute manière,à la fin,il n'aura plus de tête du tout.Notre ami Claude ,donc,se croit assez doué pour nous rendre sympathique ce déchet humain,en dépit de tous ces handicaps,et c'est complètement raté.Certains de ses collègues,plus tard,la joueront plus fine.José Giovanni,dans "Deux hommes dans la ville" en 73,fera de Gino Strabiggi un homme poussé à bout par sa victime et agissant quasiment en état de légitime défense.Quant à Michel Drach,il évoquera en 79 l'affaire Ranucci dans "Le pull-over rouge",d'après le livre du coupeur de poils de culs en quatre Gilles Perrault,en brandissant une pseudo erreur judiciaire,car l'accusé était plus que probablement coupable,ce qui s'est vérifié au tranchage.Lelouch espère convaincre en balançant de temps en temps des diatribes bien senties de l'avocat de Toledo,qui prêteraient à s'esclaffer si le sujet n'était si tragique.Ce défenseur bien-pensant ne trouve rien de mieux que de prétendre que son client est désormais inoffensif depuis qu'il a découvert l'amour auprès de sa maîtresse,ce qui sous-entend qu'à la limite on pourrait aussi bien le relâcher illico.Pourquoi pas,hein,à ce point de débilité?C'est un peu oublier,ce qui est regrettable venant d'un juriste,que les criminels sont jugés pour ce qu'ils ont fait,et non pour ce qu'ils pourraient éventuellement faire.D'autre part,il semble infiniment risqué de faire ce genre de pari avec une personnalité aussi éminemment dangereuse que celle de Toledo.Rien ne prouve que ça le calmera,ni même qu'il restera amoureux de Caroline.Il s'est lassé de sa femme,alors pourquoi pas d'elle.Son épouse,parlons-en.Dans le genre qui n'a aucune fierté,elle bat des records.Après avoir appris que son mari la cocufiait,et s'apprêtait apparemment à la planter là avec leur gosse,et qu'il allait aux putes pour les dégommer,elle ne lui en veut pas le moins du monde et lui rend visite au parloir,lui proposant même de lui faire des gâteaux.Hallucinant!Finalement,Lelouch s'éclate avec la scène de l'exécution,censée nous dégoûter à tout jamais de ces pratiques,et là encore,c'est loupé.Toledo s'affale comme une fiotte,il a ses vapeurs,et il faut le traîner de force à l'abattoir,ce qui est moyen pour un mec si soucieux de sa virilité.Certes,la séquence est sordide et pénible à regarder et ne provoque aucune satisfaction particulière.Mais quelque part il semble plutôt juste que le type éprouve la peur panique à l'approche de la mort qu'ont éprouvée ses victimes avant lui.C'est vrai cependant que la guillotine c'était un peu hard et qu'on aurait pu la remplacer par des trucs plus civilisés,comme l'injection létale en vigueur aux Etats-Unis.Toutefois,curieusement,les contempteurs de cet appareil sont généralement de chauds supporters de la Révolution Française,qui en faisait grand usage.Sans doute est-il à leurs yeux plus judicieux de l'employer contre des adversaires politiques que contre des criminels.Le dernier mot reviendra au fameux avocat sentencieux qui posera la question qui fâche,ou pas.Si les jurés voyaient une exécution en direct live,oseraient-ils prononcer la peine capitale?Car jusqu'à ce que Lelouch s'en mêle,il est clair que les jurés s'imaginaient que l'opération était une vaste partie de rigolade qui se déroulait dans la joie et la bonne humeur.On pourrait d'ailleurs retourner la question à maître Enfoiros:et si les jurés avaient pu assister aux meurtres dégueulasses commis par Toledo,pourraient-ils l'épargner?Parce que les victimes,comme d'habitude,les progressistes s'en foutent,c'est un détail de l'Histoire de la Justice.A part ça,on peut voir dans le film une Caroline Cellier toute jeunette et déjà toute mignonnette,un Marcel Bozzuffi impeccable comme toujours en flic obstiné,et aussi Denyse Roland,petite star du ciné érotique de jadis.

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le 19 juin 2018

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