C'est tout auréolé de son succès à Cadix contre la flotte espagnole et sous la clameur de la population qui scande son nom dans les rues de Londres que Robert Devereaux, comte d'Essex, entre au palais de Whitehall. Cette popularité lui vaut de nombreux ennemis à la cour de la reine Elizabeth Ier qui elle-même, bien qu'étant son amante et dévouée, voit cela d'un mauvais œil. Qui aime bien châtie bien. Jalouse, elle prétexte mille excuse pour le punir allant même jusqu'à le renier et le défaire de ses rangs, aux yeux de toute l'assistance, médusée. D'une partie seulement, du moins, car dans son ombre ses détracteurs s'affaire à le disgracier à ses yeux. Ne supportant pas d'avoir été bafoué de la sorte en public, Devereaux quitte Londres plein de ressentiment et blessé dans son orgueil et gagne son domaine de Wanstead que sa fierté l'empêche de quitter. Celle de la reine l'empêchant de le quérir, il faut attendre de longues semaines avant que des mauvaises nouvelles provenant d'Irlande, où l'armée royale a été balayée par le comte de Tyrone, lui donne une bonne raison de le faire, jouant sur la loyauté sans faille d'Essex. A nouveau réunis, les deux amants se pardonnent tout et se promettent de ne plus jamais se quitter. Mais quelques choses se trame dans leur dos, les comploteurs ayant profités de son absence à la cour pour accroitre leur influence. Mais le couple n'est pas dupe et pourtant, en jouant sur la même corde sensible qui l'a fait revenir prés du trône, ils parviennent à l'en éloigner en lui donnant les rennes de l'armée censée écrasée la rébellion en Irlande. Un plan qui se déroule sans accrocs, avec la complicité bientôt coupable de Lady Penelope qui intercepte jalousement la correspondance du couple, jusqu'à ce qu'Essex, obligé de capituler et se sentant bafoué face à l'indifférence de la reine qui ne daigne répondre à ses mots d'amour et ses demande de renforts, ne retourne son armée contre Whitehall pour conquérir le trône. Stupeurs dans les rangs. Les canailles craignent que leur canailleries de soient percées à jour. La reine quant à elle, avide d'amour, se languit de lui et l'attend sans opposé la moindre résistance. Pourtant les mots qui sortiront de la bouche du comte ne seront pas ceux qu'elle attendait. Pouvoir, guerre, sang bleu.. Mais où est donc amour? Il est bien là malgré tout quand il lui demande de partager le trône avec lui, d'égal à égal. Seulement sa soif de pouvoir l’empêche d'aimer absolument. De la même manière que le fardeau de la couronne d'Angleterre l'empêche à la reine. L'issue est inévitable. Le pouvoir rend seul et c'est seul qu'Essex montera sur l’échafaud et seul qu'Elizabeth terminera son règne.

The Private Lives of Elizabeth and Essex est la huitième collaboration d'Errol Flynn avec le réalisateur Michael Curtiz (sur douze) et la sixième (sur huit) avec sa partenaire fétiche Olivia de Havilland. Mais cette fois ce n'est pas elle qui lui tient la dragée haute mais Bette Davis. Quand elle sortit pour la troisième fois de la représentation de la pièce de Maxwell Anderson, Elizabeth The Queen, elle sut directement que ce rôle était fait pour elle et s'empressa d'en informer Jack Warner : "Après moi, Elizabeth aura à jamais mon visage". Mais derrière cette déclaration vaniteuse se cache une réalité : si d'autres actrices comme Mirren, Blanchett ou Robson ont prêté leurs traits à la "reine vierge", aucune n'a atteint la radicalité du jeu de Davis. Les sourcils épilés, une partie du crâne rasée, enlaidie, vieillie (elle n'a alors que 31 ans contre 30 pour Flynn), l'accent et la diction très travaillés, elle est époustouflante. Elle n'est jamais loin d'être dans la surenchère, certes, mais mise à part quelques scènes, elle ne verse jamais dedans. Et puis il faut remettre sa prestation dans son contexte. En 1939, au sommet de la pyramide hollywoodienne, elle s'était lancé dans une course à l'oscar et chassait alors sa troisième statuette après celles glanées pour Dangerous en 1935 et dans l'Insoumise de Wyler en 1939. Malheureusement elle ne fut pas citée et n'obtiendra jamais son troisième oscar (trois ou quatre rôles l'auraient bien mérité pourtant). Elle reprendra son rôle seize ans plus tard dans The Virgin Queen.
Comme lors de chacun de ses tournages, et à fortiori ceux avec Curtiz qu'il adorait taquiner, Flynn arrivait en retard sur le plateau, le visage bouffi par l'alcool et sans aucune ligne de texte en mémoire. Au grand dam de Davis qui, bien que saluant les qualités physiques de son partenaire, pestait contre son manque de professionnalisme : "Un acteur qui n'apprend pas par cœur est un criminel, dira-t-elle. "C'est quelqu'un d'insensé qui ne pourra jamais donner le meilleur de lui-même. Il aura toujours d'autres mots en tête qui perturberont son jeu." Elle-même, quand elle parla à Jack Warner du film, voulait Laurence Olivier pour lui donner la réplique. Il sortait alors d'un film historique, Fire Over England produit par Korda, se déroulant exactement à la même époque, dans le même pays et avec les mêmes protagonistes et présentait, de par sa formation shakespearienne, de meilleures aptitudes pour lui rendre le change. Mais Warner voulait mettre sa vedette comme gage de réussite dans le film et remplaça Olivier par Flynn qui lui n'en avait rien à cirer du film et du scénario qu'il trouvait trop théâtral et pas suffisamment porté sur l'action et la bravoure. Miss Davis n’oubliera jamais cette trahison : "C'était un coup de couteau dans le dos. Jack commettait une grave erreur. Le comte d'Essex devait être Laurence Olivier et personne d'autre." Flynn et Davis ne tourneront plus jamais ensemble, abstraction faite de Thank Your Lucky Stars où une pléiade de star de la Warner interprète leur propre rôle. Toutefois, quand se profila la scène dans laquelle était prévue qu'Elizabeth gifle Essex, Bette saisit sa chance d'évacuer toute sa rancœur et l'envoya valdinguer d'une telle force que l'acteur la pourchassa dans les coulisses pour avoir une explication... Le reste du casting est classique puisqu'on y retrouve Alan Hale dans le rôle important mais bref du chef rebelle Irlandais, l'excellent et suave Donald Crisp en éternel loyal sujet de la couronne ou encore Henry Stephenson qui tire plus que jamais profit de son physique, inspirant tantôt la confiance et tantôt la méfiance..

Des douze films que Flynn et Curtiz tournèrent ensemble, The Private Lives of Elizabeth and Essex, semble à première vue, sinon leur plus bancal, du moins un de leur plus faible. Le contraste dans l'interprétation des deux acteurs principaux (l'ultra-sérieux de Davis VS la frivolité de Flynn), le peu de crédit que l'on accorde à leur histoire d'amour (comment peut-on y croire alors qu'Olivia rode dans le château) ou encore l'absence quasi-totale de scènes d'éclat peuvent en effet en surprendre voire en rebuter plus d'un. Pourtant le film est bien meilleur qu'il n'y paraît et gagne a être revu. Ceci est l’apanage des films imparfaits d'où jaillissent, à force de visionnage, un charme irrésistible qui finit par emporter le suffrage. De plus Il se dégage de la mise en scène quelque chose de fantasmagorique, tragique, effrayant et de captivant qui n'apparaît qu'après quelques vues. Comme par exemple dans une des dernières scènes du film où Essex, emprisonné dans une tour, au seuil de sa mort, fait ses adieux à Elizabeth, venue vivre spécialement au-dessus de sa cellule, et s'enfonce dans le sol infernal de la salle comme Dom Juan entrainé par la statue du Commander. La comparaison avec l’œuvre de Molière ne s'arrête pas là car s'il ne s'agit pas de séduction et d'amour à proprement parlé ici, c'est bien d'attirance pour le pouvoir que tombe Essex. Un attirance insatiable l'empêchant d'aimer absolument, comme elle ne le peut pas. Car l'exercice du pouvoir est l'affaire d'amants déçu et solitaire. Le film n'est pas parfait. C'est une certitude. Mais il est pétri d'idée géniale de mise en scène et truffé de messages subliminaux. Et puis il y a Olivia, presque aussi belle que dans ses westerns, dans le costume de la favorite de la reine éprise du même homme. Jalouse, impertinente (la partie d'échec ou la joute musicale sont exceptionnelles) et insolente, elle n'hésite pas à commettre le pire des forfaits vis-à-vis de la reine pour séparer les deux amants et s'attacher l'amour du comte. Plus effacée qu'à l'accoutumée, elle en profite pour rajouter une corde à son arc et décocher plus haut la flèche de mon admiration.
blig
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le 20 sept. 2014

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