Un, deux, trois, je me lance.

Je plonge dans un océan plein de requins.
Je saute du haut d'un volcan en éruption.
Je joue avec des népalais dans la toundra glacée.
Je cours, je glisse, je pédale, je donne la main, j'emmène quelqu'un, j'avance, je découvre et j'avance encore.

Tel est le but de la Vie.

Je regarde un film, je sors de la salle, j'ai pleuré mais tout va très bien, dehors les lumières de ma ville sont rouges, puis violettes, puis roses, ne me demandez pas pourquoi, la mairie a installé des projecteurs colorés sans prévenir, je trouve ça magnifique, je marche. Un, deux, trois. Je marche. Je viens d'être heureux.

Ohlala, les mecs, pendant un instant devant le film, j'étais heureux. Pas content, pas joyeux, mais heureux. Mes larmes étaient chaudes, elles ruisselaient sur mes joues alors qu'autour de moi mon monde ne devenait qu'harmonie : Kristen Wiig est devant moi, ils viennent de passer ma chanson préférée de M83 dans le hall, j'ai enfin fini mes partiels, je suis en stage au cinéma depuis 3 jours, et puis je porte mon pantalon préféré, mes amis sont vraiment géniaux, mon appartement aussi.
Rien n'allait mal. Tout allait bien.

Comme si ma vie avait atteint son but, pas son but final, mais celui de ce moment précis, le but qui se renouvelle à chaque seconde. Peut-être que je n’étais plus heureux la seconde d’après parce qu’un nouveau but encore inconnu venait d’apparaitre, un but que je n’ai pas encore rempli. Mais, revenons au film, sûrement plus intéressant que ma recherche du bonheur.

Les voies de la vie sont impénétrables, et Walter va sauter en plein dedans.

Walter va rendre sa vie meilleure. Je n’aurais pas appelé le film « The Secret Life of Walter Mitty » ou pire « La Vie Rêvée de Walter Mitty » (encore des traducteurs qui n’ont rien compris au sens de l’œuvre), mais tout simplement « La Vie de Walter Mitty ». Car ce film ne nous montre pas moins que la vie entière d’un homme et la recherche de son bonheur sous différentes formes. Je sais, j’écris souvent cette phrase lorsque j’écris sur des films que j’ai aimés, mais là je l’ai vraiment ressenti. Comme Cloud Atlas (certes en moins puissant, mais Cloud Atlas est un chef-d’œuvre dans la démonstration entière de ce qu’est un monde), ce film dépasse les limites de l’écran et du temps. Presque deux heures de film ? Il n’en est rien. Walter Mitty dure toujours et partout.

Ce potentiel gigantesque est d’ailleurs le principal problème d’un film dont la durée limite tous les développements. L’histoire d’amour va trop vite, les voyages vont trop vite, le changement capillaire de Walter va trop vite. On aimerait en savoir plus sur tout, on aimerait que chaque scène nous en montre plus. Je ne me suis pas ennuyé une seule seconde pendant mon visionnage, comprenez-moi bien, mais Ben Stiller a mis trop de choses dans son film et en essayant de tout faire rentrer en deux petites heures, il n’a pas pu aller au bout de toutes ses idées. Encore une fois, rien n’est perdu, rien n’est pas assez développé. C’est juste que rien n’est assez développé. Vous voyez ?

Walter marche, donc. Il avance sur le chemin de la vie. Il se met à courir, parfois. Puis il ralentit, mais il ne s’arrête jamais. Il découvre le but de la Vie comme un astronaute découvre l’espace.

« Et les étoiles semblent très différentes, aujourd’hui. »

Ce n’est pas un matin comme les autres, c’est le matin du négatif 25. C’est le matin où Walter a voulu faire le premier pas avec Cheryl. C’est le matin où le premier pas n’a pas marché, comme si la vie s’était opposée à cliquer sur ce clin d’œil ridicule, et l’avait plutôt forcé à lui dire bonjour. C’est le matin du négatif 25, c’est le matin où la vie s’arrête. Pas la vie, pardon, la Vie. Life, pour nos amis américains. Oui, le magazine Life s’arrête, c’est le dernier numéro, le plus essentiel, ça y est, Walter se rend compte qu’il est temps de courir, et le vent se lève sur les bureaux de Life, alors il faut tenter de vivre un peu avant que tout soit terminé. Et il vit. Beaucoup. Intensément. Loin. Tout près en fait, dans sa poche. A l’intérieur, et dans les plaines islandaises. Pour de vrai cette fois-ci. Pour de vrai, enfin.

Walter apprend à vivre, et Ben nous apprend à vivre.

Quel est le vrai but de la vie ? La réussite sociale, peut-être, avec ce conseiller eHarmony qui le prévient qu’il a eu 300 clins d’œil depuis qu’il a dit avoir sauté dans l’eau depuis un hélicoptère juste avant d’être attaqué par des requins. Non, tout ça c’est la superficialité du bonheur, celui que les autres croient voir, à l’extérieur. Et au final, ce clin d’œil qui n’aura pas voulu s’envoyer, il ne s’enverra pas. Il n’aura pas besoin d’être envoyé pour que Walter puisse enfin donner la main à quelqu’un. Le bonheur de ce film, c’est un bonheur personnel, puis partagé à la dernière seconde, mais toujours intime : Walter et Cheryl semblent être les seuls au courant de leur amour. Les patrons de Life ne sont pas au courant, la famille de Walter non plus, Sean Penn non plus. Walter apprend enfin à vivre pour lui et plus pour les autres (tiens, vivre pour soi et plus pour les autres ça me rappelle un autre film que j'aime beaucoup, non ?).

Ou alors, pour comprendre le sens de la vie, il faut juste apprendre à observer le monde, pour soi. Ne pas toujours prendre une photo, ne pas toujours en parler aux autres. Le faire parce que ça fait du bien, là, maintenant, pas parce que ça sera bien vu dans quelques jours. En fait, pour comprendre le sens de la vie, il ne faut pas faire grand-chose. Je dirais même que c’est simple. Simple, comme là où était le négatif 25. Simple, comme Cheryl. Simple, comme le geste final.

Le vrai but de la vie, ce sont ces deux mains qui se rejoignent pour se perdre dans les étoiles. Parce que le vrai but de la vie n’est pas un paysage exotique impressionnant, mais un geste discret. Un geste amoureux.

Et c’est peut-être là la plus grande difficulté qu’un homme doit dépasser. La simplicité du bonheur quotidien. L’amour des choses simples. L’amour, encore et toujours, l’amour de tout, pourquoi ça doit toujours être l’amour qui gouverne le monde ? Bordel, qu’est-ce qu’elles étaient belles ces lumières rouges à la sortie du cinéma.

Merci, donc, Ben Stiller. Merci Kristen Wiig d’être la femme la plus talentueuse du monde. Chère Kristen, je vous aime autant que Kirsten. Merci d’avoir été présents ce soir-là, dans ce cinéma-là, pour moi. J’ai tout compris. J’ai tout compris. J’ai compris où vous vouliez en venir, ce que vous vouliez dire, les directions dans lesquelles le film partait, la partie cachée de l’iceberg, j’ai tout compris. J’ai tout compris. Merci.

En espérant toujours que, dans le lointain, vos deux âmes flotteront ensemble de la plus bizarre des manières.

PS : c’est en écrivant tout cela que je me rends compte une fois de plus de mes manies d’écriture et des sujets de mes critiques qui sont toujours les mêmes, le bonheur, la vie, blablabla. Promis, la prochaine fois je me calme, et je ne fais pas passer un film normal auquel j’ai mis 8 pour un chef d’œuvre complexe et déjà culte dans mon cerveau.
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le 24 janv. 2014

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